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24 mai 2009 7 24 /05 /mai /2009 18:03

 

Le Bureau de Vérification des Buzz (BVB) va faire son boulot. 

Un trio de jeunes gars venus d’Angleterre, de la banlieue de Londres (St Pauls, la ville de Francis Bacon), Jack, Edd, et Ed, sortent leur premier album en septembre 2008. Buzz.

 

Un jeune mec et son musicien venus de Saint-Etienne sort son album en avril 2009. Gros Buzz, bien sale, avec Perez Hilton en promoteur accidentel, et l’univers d’une Britney Spears en come back assumé et sublimé : c’est la reprise de Womanizer, le single de la blonde, qui met Sliimy au centre des attentions du royaume de la hype.

 

Un trio de jeunes gars : Friendly Fires - Source.



Sliimy - Source.



  1.  Sliimy est sympa : il permet à tous les gays dégingandés et efféminés de se sentir à l’aise, et éventuellement de créer des trucs. Bon point. 
  2.  Sliimy a deux bonnes chansons. Sa reprise de Womanizer et Wake up. (a) Womanizer tient par la mélodie originale et son refrain ludique, et les paroles sont putes à l’extrême. Les arrangements de la version Sliimy jouent le contraste avec la version originale. Tout en douceur, petit carillon et guitare sèche. Un reste de synthé pour le refrain exténué. Et Sliimy en boucle sur tous les chœurs risquant en une chanson déjà de donner envie à n’importe qui se s’étouffer dans un salon de thé en mangeant trop de spéculoos. (b) Wake up, la chanson naïve qui reste réalistement naïve. Surtout par assimilation à Feist (1234, ou Mushaboom), qui nous permet de projeter un univers un peu adulte, et parce qu’il ne s’amuse pas à égrainer des noms de trucs qui feraient moderne (parler de myspace ou facebook dans une chanson est déjà ringard !).

Le reste pleurniche, se tortille, s’écoute chanter. Sliimy a accouché trop tôt.



 
Reprise de "Womanizer" de Britney Spears par Sliimy.

 

Friendly Fires est le nom du groupe et le nom de l’album. Rassurons-nous tout de suite, les ventes de disques sont nettement en faveur de Friendly Fires (71 365 en classement de ventes sur Amazon contre 7.352 pour le jeune Français). Il y a donc déjà une justice immanente en ce monde, celle des ventes Amazon tout au moins. Mais si le BVB doit avoir une utilité c’est bien de chercher à différencier les buzz justifiés des buzz injustifiés. Et peut-être aussi de comprendre les raisons du buzz pour décourager les éventuels copycats.



Friendly Fires - Source.

 

"Jump in the pool" est le titre qui ouvre l’album. On n’y parle pas de myspace. Il n’y a pas exactement de faux air du temps. Les paroles sont simples, et approfondissent une seule situation (promettre d’emmener à Paris, être malade dans un hôpital…), loin des listes d’objets qui occupent l’espace de la chambre de notre gay assumé. Pourtant le buzz disait qu’une assimilation à ce retour des années 80 était possible, au post-punk ou à l’électro-pop (parce qu’un peu disco et pop). Mais le charme de ce premier titre est de décevoir son buzz. Jump in the pool ressemble davantage au single du deuxième album de Bloc Party (le bizarre The Prayer, même producteur oblige). Le morceau roule sur une rythmique de samba assez intenable, nappée de grands souffles de voix (qui trouverait plutôt un truc atmosphérique des années 90, effets de pédales et « shoegazing » paraît-il). La guitare métallique brille plutôt qu’elle n’agresse, et finalement le guitariste saute plutôt qu’il ne mate ses pompes. Tout est vraiment produit impeccablement. Ed chante comme pour faire tomber la pluie, puis il rêve, il recommence son incantation (sur différents thèmes : danser, être amoureux, sauter à l’eau), puis il rêve. Il y a plus de sentiments dans une seule de leurs chansons que dans une reprise de Sliimy. 


"Jump in the pool"

On se dit, oui, mais le single "In the Hospital" est lui clairement bêtement hype. Basse funky, le petit gimmick rigolo ringard des années 80. « On dirait », mais le refrain contredit tout. Encore une fois, le buzz ne sert qu’à être déçu habilement, jouer sur la ressemblance pour aller plus loin. Encore une fois donc, Ed attaque par petites mélodies, et s’étire sur les refrains, fins de phrases la bouche grande ouverte. On pourrait sentir le plaisir qu’il y a à crier « nothing is lost only a memory ». Et le gars ne se couvre pas de chœurs ou ne se perd pas dans les mille échos de réponses improbables. Confiance dans la mélodie, et redondance du gimmick (voix, trompette, guitare) qui sonne plus pop conceptuel ou rock progressif. 

 


On attaque la troisième chanson en connaissant la recette. Du fragmentaire, puis des mélodies comme ralenties, longues. Mais si cette recette n’était qu’un tour de l’esprit, une petite galipette, on n’y prendrait pas tant de plaisir. On se sent monter et descendre entre les rues de Paris, marcher ou planer. Sur "Ex-lover", on se sent envie d’aimer, puis de se barrer, et d’aimer puis de se barrer encore. Le travail de la batterie toujours implacable. Le grand truc c’est quand même de poursuivre sur les mêmes rythmes fous quand la mélodie s’étire, quand les claviers tiennent les accords et vaporisent de l’ambiance. Vous volez en avion, mais la ville continue à défiler aussi vite sous vos ailes.

Jetez-vous sur la troisième minute...


 

Mais là où le buzz devient injuste pour quelqu’un qui capte les buzz depuis la France, c’est que les Friendly Fires sont authentiquement de bons musiciens et de bons performers. Voir le passage à l’émission de Manu Katché confirme tout. Le batteur assure. Le chanteur danse comme un fou au-delà de tout ridicule. Ils ont produit leur album eux-mêmes à une exception près (Jump in the pool). Sliimy n’est pas en cause dans sa sincérité de faire de la musique. Mais il est troublant de voir que la justification de sa musique est plus sociétale que musicale. Son buzz résume sa musique, et sa musique ne déçoit pas intelligemment son buzz. Sliimy représente en fait la pop telle qu’on l’imagine en France : jeune, fraîche, homo, et colorée. Mais le concept original de la pop (cf notre prochaine théorie de la chanson pop) et sa réalité nous sont absolument étrangers : on ne sait pas déterritorialiser les effets des arrangements classiques pour les appliquer à des chansons naïves, on ne sait pas qu’il y a bien un reste d’enfance dans le cœur des adolescents, adulescents et adultes (Mitterand demandant à son chauffeur de mettre "the dark side of the Moon" dans sa bagnole toute noire et blindée de président). Déshabillez Sliimy, il n’en reste rien. 


 

 

 

Sliimy again... - source.


Mécanisme du buzz Sliimy. Il y a les incontournables : 1) il est jeune, on le veut tout frais, on l’invite trop tôt à la télé ; 2) reprise de ses morceaux, mais aucune preuve réelle de talent. Mais 3) surtout, il a été vendu avec le clip Womanizer. Les photos facebook du gringalet grimé de 19 ans. Il y a quelque chose de touchant et de (si on faisait nos malins on dirait d’obscène) sincère. C’est toute la magie d’une chambre d’ado qu’on placarde sur les blogs et les vidéos. Mais parce que c’est lui. L’adolescent faussement ignorant qui faisait rêver déjà le grand pédéraste Socrate. Mais là, il s’agit d’un ado lisse, magaziné, et justement asexué en dépit de ses paroles de chansons. Sliimy est tout simplement trop conscient. 

L’entendre parler a été un déclic pour votre serviteur déçu. Il s’est absolument prêté au jeu. Oui il pensait déjà répondre à ses propres interviews. Les références musicales étaient déjà mises au frigo. Il dit tout, il sait, il assume, il veut, il aime. Il était donc absolument buzzable parce qu’il a placardé sa personnalité comme une photo facebook : Sliimy, nom de scène et surnom au lycée (la tradition des noms bizarres de groupes pop ou rock est au contraire un désir de seconde naissance). Ce n’est pas un hasard du tout s’il parle de myspace et de Sex and the city en même temps (oui, Eric Naulleau a bien fait son boulot aussi). La première référence est la préférence de l’ado moderne qui maîtrise son image, narcissique et déjà populaire au bord de la prostitution. La deuxième pourtant n’est pas de sa génération, c’est un emprunt, qui n’est que ça, une pelure, déjà morte. 

 

 Photo C - Olirza source.

 

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