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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 18:33

Du fin fond de ses nuits blanches, entre deux couches sales et une petite lingette, G. délaisse quelques albums de Tintin pour une fois de plus ouvrir une voie vers un sommet spéculatif. Nouveau père - il s'interroge face au gigantisme des tâches qui incombent à une telle responsabilité et fidèle à sa paranoïa spéculative se demande si une fois de plus on ne serait pas en train de laisser cet homme fier, viril mais correct sur le bord de la route. Il ne fallait pas plus d'un soupçon pour que naisse... la PAPASOPHIE.

 

liechtenstein.jpg

 

Au commencement était une blague. Alors qu’on me reprochait de ne plus participer à votre blog préféré et que je m’excusais en invoquant ma récente paternité et les responsabilités écrasantes qui l’accompagnaient, mon interlocuteur (vous avez reconnu R) m’enjoint d’écrire sur ce sujet. Face à l’insistance de cet ami je commençai à soupçonner des intentions polémiques inavouables (car en quoi diable la paternité concerne-t-elle la freakosophy ?). Il faut dire que je m’étais déjà fait avoir sur la pornographie et que « chat échaudé craint l’eau froide ». Un petit retour en arrière s’impose pour que la vérité que nos assidus lecteurs réclament éclate enfin au grand jour !

 

N’ayant sur le porno aucune compétence particulière ni aucun goût particulier, mais une curiosité bien compréhensible, je m’étais laissé entraîner naïvement à écrire sur le sujet. Comme tout fin lecteur de ce blog peut le vérifier, ses deux cofondateurs, U et R, avaient sur le porno deux positions antagonistes : R le défend  de toute son âme (et de son corps), alors que U n’y voit qu’aliénation du désir et piège de la subjectivité. Je renvoie à leur article sur la question. Bref, le canal historique de la rédaction se déchirait et n’osait rendre public leur différend, certainement par peur de rompre l’harmonie qui régnait jusqu’alors sur d’autres sujets plus consensuels (comics, séries télé, jeux vidéos, …). Considérant ma naïveté et ma relative consensualité sur le sujet, ils m’utilisèrent donc diaboliquement pour élargir la freakosophy au porno, s’assurant dès lors une plus large audience (ce que le dernier article d’Eloïse rappelle) et permettant ainsi d’afficher leurs différences sans remettre en cause l’harmonie sociale de la rédaction… Comme Réné Girard nous l’a appris, mais j’oubliais à l’époque sa leçon, cette paix reposait sur le sacrifice d’un bouc émissaire : moi. Je me voyais en effet transformé en spécialiste du porno alors que je ne faisais qu’y réfléchir en passant, et eux, dont les thèses étaient beaucoup tranchées que les miennes et présupposaient donc une connaissance bien plus poussée que la mienne, pouvaient passer pour des honnêtes hommes aux yeux des foules.

 

Où est la blague me direz-vous ? Redoutant de me laisser de nouveau embarquer dans un sombre complot, j’affirmais à R, si insistant pour que j’écrive sur la paternité, que la « papasophie ne s’improvisait pas aussi facilement que la pornosophie ». Feignant d’ignorer que le jeu de mots était improvisé pour la circonstance, R fit courir la rumeur que le grand « pornosophe » que je suis était également un grand spécialiste des mutations modernes de la paternité et n’attendait que l’occasion propice pour révéler à l’humanité ses découvertes. Avec malice, les autres freakosophes sautèrent sur l’occasion et ont depuis peu annoncé à la face du monde un traité de papasophie à venir de ma part. Que faire pour ne pas être de nouveau le jouet de ces puissances diaboliques ?... Tuer la rumeur par le silence ? Mais celle-là lancée, celui-ci pourrait sembler la confirmer. Désavouer publiquement la rumeur ? Ce serait certainement tomber dans un piège pour en éviter un autre. Eh bien soit… puisque je dois être le nouveau bouc émissaire de luttes intestines qui m’échappent autant utiliser ce rôle pour improviser une défense de quelques convictions spontanées… que vous pourrez étiqueter papasophie, front de libération paternelle, barbe à papa, paterlogie ou comme vous le voulez.

 

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Tiens bon, fils ! - source.

 

 

Je vais donc ici essayer de défendre la thèse suivante : la reconnaissance pleine et entière de l’homoparentalité gay est la condition pour libérer tous les pères de la marginalisation que la survalorisation traditionnelle de la maternité induit. Et comme je ne voudrais pas faire défaut à ma réputation de « spécialiste » du porno, je défendrais en plus la thèse que la prédominance de l’intérêt masculin pour la pornographie, dont certains jugent que la représentation de la sexualité serait plus proche de la sexualité réelle des gays que de celle des mâles hétérosexuels, ne peut en rien délégitimer la prétention à l’égalité de valeur de la paternité par rapport à la maternité. Mais d’abord : Qu’est-ce que reconnaître la paternité au juste ? Et pourquoi donc faire de la cause gay et plus particulièrement celle de la reconnaissance (et donc de la légalisation) de l’homoparentalité gay, le fer de lance de la reconnaissance de la paternité en général ? 


Tout d’abord, je ne défends pas une espèce de masculinisme qui prétendrait que les hommes seraient actuellement les victimes d’une discrimination sexiste due au féminisme contemporain. Reconnaître la paternité à l’égal de la maternité, c’est tout simplement reconnaître que la paternité n’est pas secondaire dans la parentalité par rapport à la maternité, que les hommes ne font pas en soi moins bien que les femmes et qu’il n’y a pas de fonction de la parentalité qui échapperait naturellement aux hommes. Mais comme il n’y a pas de droit sans devoir, la reconnaissance de la valeur de la paternité s’accompagne bien sûr de la prise de conscience de la responsabilité paternelle vis-à-vis de tous les aspects de l’éducation des enfants. Si les hommes sont aussi capables que les femmes d’assurer le développement affectif, moral et matériel des enfants, ils ont autant de devoirs à l’égard des tâches matérielles et administratives relevant de cette éducation, tâches traditionnellement assumées par les mères. Je sais bien que les femmes continuent en majorité à assumer ces tâches et que les pères qui veulent davantage s’impliquer dans l’éducation de leurs enfants se défaussent souvent de ces devoirs. Les hommes ont beaucoup à perdre autant qu’à gagner dans l’égale valorisation de la paternité par rapport à la maternité. Mais j’affirme que si cette égalité est légitime, c’est que les hommes peuvent assumer les sacrifices qu’implique l’exercice de leurs devoirs, et cela de la même manière qu’ils peuvent satisfaire aux exigences de leurs droits à s’occuper de tous les aspects du développement de leurs enfants. Bref, loin de s’opposer ou de limiter le féminisme, la reconnaissance de la paternité à l’égal de la maternité n’est rien d’autre que le pendant du féminisme. 


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G. et sa moitié sortent d'Intermarché mais une dissension gronde à propos des couches lavables - G. aura-t-il le dernier mot ? - Source.

 

 

On m’objectera que l’égalité n’est pas l’identité. Soit, mais mis à part la grossesse, l’accouchement et l’allaitement, je ne vois pas de différence naturelle suffisante pour justifier une quelconque « différence dans l’égalité ». Les autres différences entre les sexes concernent la sexualité et ne concernent pas l’éducation des enfants dans tous ses aspects. J’en viens ainsi progressivement à ma deuxième question. Je soutiens que la sexualité, qui est peut-être différente entre hommes et femmes (là n’est pas le problème), n’affecte en rien le désir d’enfants ni les capacités à les aimer et les éduquer. On pense souvent que si les femmes désirent avoir et s’occuper d’enfants davantage que les hommes, c’est parce que leur sexualité est davantage orientée vers la reproduction que les hommes qui eux ont une sexualité beaucoup plus orientée vers le plaisir. Autrement dit les femmes font l’amour en se souciant des conséquences possibles de la copulation et conditionnent ainsi la sexualité à des sentiments d’affection assurant la stabilité du couple, alors que les hommes copulent pour copuler sans s’en soucier, ce qui garantirait d’ailleurs la maximisation des chances de reproduction à travers la multiplicité des partenaires. Selon ces arguments évolutionnistes, la sexualité masculine favorise indirectement la transmission des gènes par une sorte de ruse de la nature : c’est en dissociant totalement chez eux plaisir sexuel et désir d’enfant que les hommes augmentent les chances de se reproduire. A l’inverse, grossesse et caractère prématuré des bébés humains impliquent d’associer fortement sexualité féminine et désir d’enfant pour augmenter les chances de survie de la mère et du bébé. Ces arguments comportent bien sûr une part de vérité, mais elle me semble minime dans la mesure où la culture a transformé les conditions de reproduction de l’espèce et façonné le désir pour lui donner de nouvelles finalités. Sexualité et désir d’enfants ne me semblent donc pas plus liés chez la femme que chez l’homme. Pourtant ce genre d’arguments semble encore souvent utilisé pour marginaliser la paternité par rapport à la maternité et il me semble que l’on trouve ce biais contre les hommes dans le débat sur l’homoparentalité. Selon cette perspective, les gays apparaissent comme moins légitimes que les lesbiennes pour adopter et élever des enfants, même si cette soi-disant différence n’est jamais proclamée en tant que telle ; non-dit poussant certainement ceux qui s’opposent à l’homoparentalité à rejeter en bloc celle-ci plutôt que d’avouer leur doute sur les gays, c’est-à-dire au fond sur les hommes en général. 

 

Pour ceux qui rejettent la dissociation précédente entre sexualité et aptitude à s’occuper d’enfants, mais admettent que la sexualité est culturelle, la culture sexuelle masculine contemporaine aggrave encore cette inaptitude, ce que révèlerait le rapport à la pornographie des hommes en général. En gros, la pornographie, destinée en grande partie aux hommes, constituerait une aliénation du désir réduisant l’autre à un objet de consommation où le plaisir sexuel recherché ne serait qu’un plaisir égoïste. Selon cette même ligne d’argumentation, dans les couples hétérosexuels, cette influence de la pornographie se trouverait limitée par la conception féminine, subordonnant toujours la sexualité à la recherche d’un plaisir commun dans une relation amoureuse. Dans le couple hétérosexuel, la pornographie se trouverait ainsi reléguée à un objet de fantasme plus qu’un idéal de la sexualité, condamnant la libido masculine à une frustration et une sublimation qui auraient rendu possible leur investissement, certes secondaire, dans la vie de famille. Par contre, le couple gay, ne connaissant pas cette résistance féminine et la frustration/sublimation qui en découle, peut réaliser pleinement l’idéal pornographique. La conséquence psychologique de cette analyse serait de dire que les gays survalorisant une sexualité de consommation et la recherche d’un plaisir égoïste, l’unité et la stabilité du couple gay seraient plus qu’éphémères et l’engagement familial à long terme précaire. En fait, ce genre d’analyse conduit à dire que les couples gays stables sont plus l’exception que la règle, certains voyant même dans l’influence du modèle de sexualité gay une des raisons de l’augmentation des divorces dans les couples hétérosexuels… 

 

batman_superman_gay.jpg

Pour vivre heureux vivons cachés - source

 

Vous aurez compris que je ne partage nullement cette opinion. Ma série d’articles sur la pornographie avait d’ailleurs en partie pour but de rejeter ces analyses essentialistes voyant dans la pornographie une aliénation nécessaire du désir. Tout d’abord, toute pornographie ne correspond pas à la description donnée ci-dessus. Ensuite, il dépend d’une éthique sexuelle de faire bon usage du porno et je ne vois pas en quoi les gays seraient moins capables de cette éthique que les hommes hétérosexuels. Je ne vois en fait derrière ces arguments que l’influence d’une culture catholique voyant dans la sexualité un danger pour l’esprit et la société et dans l’homosexualité en général un péché et une perversion de la nature. Frustration et sublimation sont certainement autant le propre des gays que des hétéros ; j’aurais même tendance à penser que la minorité numérique et l’homophobie séculaire conduisent à augmenter frustrations et sublimations chez les gays. Or si là se trouvait la possibilité chez les hommes de s’investir dans une famille, alors les gays seraient certainement les mieux placés et auraient tout pour faire de super papas. C’est pourquoi le combat pour la reconnaissance de l’homoparentalité en général et de celle des gays en particulier est la condition de la reconnaissance pleine et entière de la paternité en général. Seul ce combat permettrait en effet de détruire les préjugés à la base de la marginalisation masculine. Ce n’est qu’en faisant progresser la cause gay qu’on fera progresser la cause des hommes en général en matière d’éducation des enfants, et cela non tant aux yeux des femmes, puisque nous avons dit plus haut que la cause féministe n’en est que l’envers, qu'aux yeux des hommes eux-mêmes qui dévalorisent leur rôle, négligent leurs droits et s’exemptent ainsi de leurs devoirs.

 

wonder

La femme est-elle le seul rempart de la famille ?

 

J’imagine ne pas avoir été à la hauteur des espérances que ma blague sur la papasophie avait suscitées chez ceux qui ont feint de la prendre au sérieux, mais comme ces espérances, elles-mêmes feintes, n’étaient certainement qu’un moyen diabolique pour mieux exposer leur propre conception de la paternité, j’attends avec impatience de connaître leur thèse qui ne sera, elle, ni spontanée ni soutenue par des arguments improvisés. Et la prochaine fois que je ferai une blague sur la papamobile, n’allez pas penser que je défends là une thèse sur l’usage paternel des playmobils dans l’éducation des enfants puisqu’il ne s’agira certainement que d’une boutade de mauvais goût et sans intérêt sur le vieillard du Vatican.

 

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Contre quel joug G. lutte-t-il avec autant de passion ? - source.

 

 

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commentaires

E
Cher G.,<br /> Nous nous connaissons et nous estimons, mais il me faut m’inscrire en faux contre votre raisonnement. Je le schématise :<br /> Les gays portent le pire de la réputation des hommes. Donc si les gays sont vus comme capables de famille, alors a fortiori tous les hommes le seront.<br /> <br /> Je ne nie pas que c’est émouvant, car vous affirmez que ce qui vous inquiète n’est pas que les femmes vous reconnaissent comme père, mais que vous vous reconnaissiez vous-même, à vos propres yeux<br /> d’homme, comme père. Ce sont les hommes qui ont un comportement de fuite, qui ne savent pas assez se reconnaître comme pères. Mais je laisse cet aspect psychologique, car c’est votre argumentation<br /> qui me semble inadéquate.<br /> <br /> Vous parlez réputation (des gays et des hommes), reconnaissance, égalité… Je ne comprend pas bien quel est votre but. Si l’on parle de la paternité, on devrait être dans le registre des pratiques,<br /> non seulement des réputations. Non : les gays ont-ils bonne ou mauvaise réputation ? Mais peuvent-ils ou non être parents ? Or mon aristotélisme pouivien (= de Pouivet) me fait dire que le<br /> raisonnement pratique doit montrer un aller-retour entre les règles et leur application particulière.<br /> <br /> J’aurais aimé que votre article fasse au moins mention de l’enfant ! Votre paternité a lieu dans votre relation à lui, pas dans une comparaison avec le couple gay qui vit sur le même palier que<br /> vous dans votre immeuble bobo et que vous saluez le soir en arrosant le basilic sur la terrasse avec vue sur la Seine et ses péniches.<br /> <br /> En d’autres termes, votre raisonnement aurait pu ressembler à ça :<br /> Etre père, c’est (entre autres) veiller sur son enfant.<br /> Là, mon enfant dort en gazouillant tranquillement.<br /> Je suis donc pleinement père en restant auprès de lui pour feuilleter sur mon iPad la dernière livraison de books.<br /> <br /> Le raisonnement pratique est dans une capacité à appliquer les règles dans un cas particulier.<br /> <br /> 1/ Il ne s’agit pas du raisonnement purement théorique que vous nous livrez, vous battant au niveau des purs principes et invoquant comparaisons et égalité : j’ai presque envie de vous accuser de<br /> tous les totalitarismes du XXème siècle !<br /> <br /> 2/ Je remarque que le débat contemporain a tendance à verser de la question purement théorique, voire universelle, des principes, à un plongeon aveugle dans l’expérience. Suffit-il de mettre dans<br /> les bras de n’importe quel homme, de n’importe quelle femme, de n’importe quel couple gay, un enfant, pour qu’il (elle) se révèle un bon père (une bonne mère) ? Je pense au texte de Kant sur les<br /> peuples féodaux, qui de réputation « ne sont pas mûrs pour la liberté », mais d’après le philosophe il faut tout simplement leur donner cette liberté car elle sera performative d’elle-même. Or je<br /> me demande tout de même si un peuple sans aucune éducation à la liberté en réalise aussi bien l’idée à l’épreuve des faits. Et je ne suis vraiment pas sûre que Kant utiliserait mutatis mutandis le<br /> même argument pour la parentalité.<br /> <br /> Alors ma position médiane, aristotélicienne, est que vous êtes père car vous avez quelques principes sur ce que doit être un père, mais surtout parce que vous prenez sur vous de les appliquer au<br /> bon moment, penché sur le couffin de votre angélique poupon. Oubliez un instant quelle est votre réputation, et que seuls les gays l’ont plus mauvaise !
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