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30 mai 2010 7 30 /05 /mai /2010 21:15

 

Morale et porno, les 3 questions qui fâchent...

 

 

pornosophie

 

On peut chercher à comprendre le rapport de la morale au porno sous trois aspects : celui de la possible violence sexuelle dans la production même des films, c’est-à-dire finalement dans l’industrie pornographique ; celui de la violence sexuelle représentée dans les films ; et enfin celui de la violence de la représentation elle-même. C’est à travers ces trois aspects que nous nous demanderons si le porno-chic est plus moral que le gonzo lorsqu’ils se trouvent associés à une ou plusieurs formes de violence sexuelle envers autrui, si jamais bien sûr une telle association pouvait être repérée.

 

orange-mecanique

 

Regardons bien d'où provient la violence ? - source.

 

 

L’industrie pornographique est-elle violente et donc immorale ?

 

Une réponse à une telle question de fait semble dépendre d’une enquête sociologique sur l’industrie pornographique, ce qui n’est pas notre propos. Des témoignages divers et divergents existent, certains positifs, d’autres négatifs… À défaut d’enquête, on peut déterminer les critères moraux qu’une telle enquête devrait chercher à éclaircir :

 

a) Les acteurs y sont-ils exploités plus qu’ailleurs, que dans les usines par exemple ? L’exploitation est une forme de violence, celle du travail injustement rétribué. À partir du moment où il y a un contrat que les acteurs acceptent et que le profit qu’ils en tirent compense la pénibilité du travail, alors leur consentement volontaire est moralement acceptable.

 

b) Cette exploitation prend-elle une dimension particulière parce qu’il s’agit de travail sexuel ? Les conditions de travail sont, j’imagine, le plus souvent déterminées pour faire en sorte que le travail ne soit pas inutilement pénible. Les acteurs doivent être en mesure de pouvoir refuser les pratiques sexuelles que ne prévoit pas leur contrat. Lorsque d’autres raisons que le plaisir ou l’argent motivent les acteurs, il faut alors appliquer les critères de la morale sexuelle que nous avons développés dans notre précédent post. En plus d’être libre, le consentement doit être justifié par des raisons concrètes qui font que la personne tire plus d’avantages de ce qu’elle fait que de souffrance physique ou psychologique. Par exemple, consentir volontairement à tourner des pornos tout en trouvant humiliant que son image soit diffusée, ou en étant dégoûté de coucher avec certaines personnes (pour x raisons), ou en souffrant physiquement des pratiques sexuelles auxquelles on consent, et cela pour des raisons concrètes dont on tire davantage de satisfaction, comme par exemple gagner beaucoup d’argent ou faire plaisir au partenaire/acteur avec qui sont tournées les scènes, ne me semble pas immoral. Par contre consentir aux mêmes souffrances pour des raisons abstraites, comme la volonté de s’intégrer, de faire plaisir à un tiers qui n’est pas à l’origine des souffrances qu’on endure (ami, réalisateur, producteur, conjoint, etc…), ou encore parce qu’on nous dit qu’on n’est bon ou bonne qu’à ça, me paraît constituer une erreur morale de la part de la victime et une faute morale de la part de ceux qui poussent à faire du porno, s’ils sont conscients bien sûr de la souffrance que la personne éprouve à le faire.

 

c) Jouer dans un porno est-il une forme de prostitution ? Non, puisque les acteurs ne vendent pas un service sexuel, mais une image ; les partenaires ne sont pas des clients, mais des collègues. Les Dorcels, père et fils, n’arrêtent d’ailleurs pas de dire que les actrices sont dans l’industrie du porno mieux respectées que dans le cinéma traditionnel où les actrices sont souvent obligées de se prostituer (selon eux) pour obtenir des rôles. En fait, il ne semble pas qu’il faille forcément chercher à démarquer l’industrie pornographique de la prostitution pour rendre la première plus morale puisque la prostitution n’est peut-être pas en elle-même immorale !  Quand des acteurs pornos défendent la moralité de leur métier en affirmant qu’ils ne sont pas des putes, ils ne font que déplacer le moralisme d’un cran pour reproduire les mêmes préjugés qu’ils cherchent à rejeter…

 

 

strass.jpg

 

Unissions nous... pour le plaisir !? - source.

 

 

Bref, ils ne semblent pas que cette industrie soit, dans la mesure où les différentes conditions énumérées sont respectées, un nouvel esclavage moderne moralement condamnable. Et même s’il s’avérait que la violence sexuelle dans l’industrie pornographique était endémique, voire majoritaire, on ne pourrait dire sur cette seule constatation que l’industrie pornographique est en soi immorale et condamnable. On pourrait seulement exiger de meilleures conditions de travail, de meilleures rémunérations, des instances de contrôles, bref des moyens supplémentaires pour rendre une industrie plus morale dans son fonctionnement. Le même raisonnement s’applique certainement à la prostitution (dont on peut exiger plus de droits, d’encadrements, etc… ce qui suppose la légalité). La production de gonzo ne semble pas poser plus de problèmes que la production de porno-chic. Par contre lorsqu’on entend par gonzo des vidéos amateurs ou des documentaires sexuels (ce qui nous semble pas devoir être le cas, voir pornosophie 3 à ce sujet), alors la production de ces films et leurs diffusions semblent problématiques car on ne peut alors parler de contrat entre les producteurs/diffuseurs et les acteurs. Il devient de plus difficile de s’assurer que les acteurs consentent totalement à toutes les pratiques qu’elles subissent parfois et à la diffusion de leurs images. Quoi qu’il en soit, le problème de la moralité du porno ne concerne pas tant les conditions de sa production que ce qui est montré dans les films. Ce qui nous amène à la deuxième question.

 

 

 

La violence sexuelle représentée dans les films pornos est-elle violente ?

 

Cette question en recouvre plusieurs. Procédons à de nouvelles distinctions pornosophiques:

 

La violence sexuelle moralement inacceptable se trouve souvent représentée, que cela soit dans le gonzo et le porno-chic. Si le gonzo a une tendance à montrer des pratiques de plus en plus extrêmes, il arrive souvent au porno-chic de montrer ce qui apparaît comme des viols, des consentements forcés ou des consentements volontaires moralement inacceptables, bref des scènes de violence sexuelles, d’assujettissement sexuel ou clairement irrespectueuses selon les critères établis par notre précédent post. D’un point de vue moral, porno-chic et gonzo semblent donc se placer sur le même niveau, ils peuvent représenter autant de violence l’un que l’autre. Si le gonzo a tendance, par sa recherche de nouveauté et d’originalité à montrer des pratiques extrêmes, ces pratiques ne sont pas nécessairement plus violentes, mais sont justes moins ordinaires : elles peuvent être plus risquées car demandant plus d’entraînement et inaccessibles sans danger physique au commun des mortels, mais cela ne les rend pas en soi violentes. C’est d’ailleurs pour cela que les porn-stars sont particulièrement admirés : ils sont des performeurs comparables à des sportifs de haut niveau. Il ne semble donc pas légitime de dire que le gonzo représente en soi, selon les critères internes du genre (voir pornosophie 2 et 3), plus de violence sexuelle.

 

 

Serge-Gainsbourg-Amour-Haine-et-Violence1974.jpg

 

Serge Gainsbourg et Jane Birkin : l'érotisme de la violence.

Photo F. Giacobetti - source.

 

 

Dans les deux types de pornos, la violence représentée n’est pas réelle, « pour de vrai » ; cette violence est simulée, contrairement aux actes sexuels qui eux ne sont pas simulés. Cette violence simulée associée à du sexe non-simulé apparaît-elle au spectateur comme plus violente que la même violence simulée dans les films non-pornographiques (ou les viols et autres formes de domination sexuelle et d’irrespect sont montrés en permanence) ? Par exemple, la scène de viol d’Irréversible  de Gaspar Noé est-elle moins violente que la scène de viol de Baise-moi de Virginie Despentes pour la seule raison que la seconde est associée à du sexe non-simulé ? Dans les deux cas, la violence est simulée (il ne s’agit pas de « snuff movies » !). Je ne suis pas sûr que du seul point de vue de ce qui est montré, la violence soit plus forte dans le deuxième film que dans le premier. Comme il ne vient à l’idée de personne de trouver la représentation de la violence simulée en soi immorale, on peut dire que des scènes violentes dans un porno ne sont pas en soi immorales.

 

 

 

baise moi

 

Baise-moi plus "dure" qu'Irréversible ? - source.

 

 

 

D’ailleurs on pourrait se demander si la représentation de la violence réelle lorsqu’elle est de nature sexuelle est en soi plus immorale que la représentation de la violence réelle sans sexe. Par exemple, en quoi un film documentaire sur des viols est-il plus immoral qu’un film documentaire sur des meurtres, des guerres où on ne voit pas seulement les conséquences des violences mais les actes violents eux-mêmes ?

 

scarface.jpg

 

Film culte et pute pour la jeunesse : Scarface de De Palma - source.

 

 

On peut changer de point de vue et se demander si la représentation dans un porno d’une violence sexuelle simulée n’est pas elle-même violente à l’égard du spectateur. Il y a deux manières de concevoir une telle violence sur le spectateur. Premièrement, on peut essayer de concevoir la représentation comme étant elle-même un acte, de sorte que le spectateur subit la violence autant que la victime. Dans les actes de langage performatifs, une parole est un acte qui réalise ce qu’elle signifie (dire « je te promets » accomplit la promesse ; « une déclaration de mariage » accomplit le mariage). Le porno est-il une représentation performative ? Si on voit mal quels sont les actes de langage performatifs qui produisent une violence envers le destinataire (une insulte est violente, mais cette violence n’est pas une réalisation de la signification de l’insulte, on peut être heurté d’être traitée de salope, mais cela ne fait pas de nous une salope !), on peut imaginer que l’image a peut-être ce pouvoir-là. Représenter un viol (qu’il soit simulé ou non), ce serait violer le spectateur ! À ce compte-là toute représentation ferait sentir au spectateur ce que les personnages représentés ressentent. Il suffirait aux personnages de jouir à l’écran pour que le spectateur jouisse à son tour. Ce serait trop beau ! Laissons donc cette hypothèse délirante de côté et voyons plutôt la seconde.

 

 

beautiful-agony.jpg

 

La destruction de l'intime : Beautiful agony - source.

 

 

La deuxième manière de concevoir la violence sur le spectateur d’une représentation sexuellement violente est de considérer qu’il y a une identification des spectateurs aux victimes représentées, une forme d’empathie automatique en quelque sorte. De la même manière que Jésus dit « ce que tu fais aux plus petits d’entre les miens c’est à moi que tu le fais » (Mat. 25, 40), on pourrait dire que ce qui arrive aux personnages filmés et surtout au plus faibles d’entre eux, arrive au spectateur. Seulement, la violence ne peut être ici que psychologique et non physique, à moins de tomber dans les délires mystiques comparables aux mystères de la transsubstantiation, hypothèse que j’épargne au lecteur déjà bien éprouvé. Si on se limite donc à la violence psychologique, on ne voit pas ici au nom de quoi la condamnation morale de la pornographie serait différente de celle de l’intégralité des représentations violentes non pornographiques. Comme personne ne songe à condamner moralement les représentations non pornographiques par cet argument (quoique…), on ne peut condamner le porno par cet argument non plus. S’il y a des âmes sensibles qui ne peuvent s’empêcher de souffrir à la vue de toute violence représentée, ce n’est pas de la faute de la représentation, ni même de ces âmes sensibles j’imagine puisque mère nature les fait comme cela ! Heureusement, de telles âmes hypersensibles sont rares (je laisse de côté, comme dans mon post précédent, la question des enfants et des ados). S’il n’est pas rare de souffrir à la vue de la violence réelle exercée sur un tiers (et cela même dans nos âmes de civilisés corrompus, contrairement à ce que pense Rousseau), il est très rare de souffrir à la vue de la représentation de cette violence (et là Rousseau a certainement raison de critiquer notre modernité). C’est ce qui fait qu’on peut encore regarder le journal télévisé sans s’effondrer en larmes. Comme le porno ne représente qu’une violence simulée, on peut donc dire que les âmes sensibles qui s’émeuvent devant le journal télévisé ont moins de chance de s’émouvoir devant un porno violent. Dans la mesure où le gonzo ne dépasse pas ses limites internes en devenant du documentaire, alors la violence qu’il représente reste perçue comme simulée. C’est un peu comme les lits de Platon (République, livre X), la violence du porno est éloignée de deux degrés de la violence réelle (sans même parler de l’Idée platonicienne de la violence…). On ne peut donc pas parler de violence réelle du porno sur le spectateur. Le porno n’a rien d’immoral de ce côté là.

 

 

 

Le porno incite-t-il à la violence sexuelle ?

 

A défaut de violence directe sur spectateur, la question de la moralité de la violence représentée semble se limiter à celle d’une éventuelle incitation à la violence sexuelle sur des tiers. C’est sur ce point que la critique morale porte le plus souvent son attention, plus particulièrement en dénonçant l’incitation des spectateurs masculins à la violence envers les femmes. La représentation de cette violence simulée conduit-elle à une violence réelle ? Encore une fois, on peut se demander en quoi le porno serait plus critiquable de ce point de vue que le cinéma ordinaire. Il me semble qu’on ne peut faire la même réponse que précédemment. En effet, la finalité même du porno étant d’exciter sexuellement, on peut penser que du point de vue de l’incitation possible à la violence, une violence sexuelle dans un porno a plus d’influence sur le spectateur que la même violence dans un film ordinaire. La violence sexuelle simulée est en effet associée à ce qui a ouvertement pour but d’exciter : la représentation du sexe non-simulé. Dans la mesure où le porno-chic et le gonzo n’excitent pas de la même manière (voir pornosophie 2 et 3), on peut penser que l’incitation à la violence sexuelle ne sera pas la même dans les films tendant vers l’un ou l’autre type.

 

 

 

 

irreversible

 

Irréversible : une incitation au viol ? - source.

 

 

Commençons notre enquête par le plus trash : une scène de viol d’une femme par un ou plusieurs hommes (ou femme(s), mais là, c’est plus rare !) incite-elle au viol ? Dans un porno-chic, tout semble dépendre du contexte de la scène. Si dans l’histoire, le viol est un simple fantasme, ou un rêve (comme dans Fièvres nocturnes de Bradbury), ou si le viol est clairement puni ou condamné (comme dans Baise-moi), alors il ne semble pas qu’il y ait d’incitation. Dans le cas d’une légitimation du viol dans l’histoire, on peut alors penser qu’il y a effectivement une incitation du spectateur à la violence sexuelle puisque celui-ci fantasmera son plaisir à travers le viol. Mais est-ce que faire fantasmer peut être vu comme une incitation? Si on l’admet, la moralité du porno dépend donc de l’histoire, plus précisément de l’interprétation vers laquelle nous oriente le film. Dans le gonzo, le problème semble un peu plus compliqué. Car contrairement au porno-chic où le viol arrive à un personnage et non à l’acteur qui incarne ce personnage, le gonzo tend à faire croire au spectateur que le viol arrive à l’acteur lui-même, même si on sait par ailleurs que cette violence est simulée. Le gonzo n’étant pas du documentaire, la violence sexuelle qui s’y trouve représentée ne fait pas de ces films des « snuffs movies ». Néanmoins, le code du gonzo étant de rechercher l’effet de réel, de tendre vers le documentaire, la violence qu’il représente prend également un effet de réel. Le voyeurisme qu’il cherche à satisfaire étant direct et participatif, l’effet d’incitation du gonzo est beaucoup plus grand que dans le porno-chic. Dans le cas d’une scène de viol, il ne s’agit plus ici de faire fantasmer le spectateur sur le viol, mais de le faire jouir par procuration à la représentation d’un viol. L’espace d’interprétation n’est pas ouvert au spectateur comme dans le porno-chic, même si dans le porno-chic cet espace d’interprétation est toujours guidé par l’histoire et n’est jamais totalement libre comme on l’a dit plus haut. Les gonzos montrant de la violence stimulent donc la violence du spectateur et n’inscrivent plus le viol dans l’ordre du fantasme, mais bien dans celui de l’incitation.

 

Mis à part la violence extraordinaire qu’est le viol, le porno peut montrer d’autres formes de violence plus ordinaires comme des consentements forcés ou des consentements volontaires moralement inacceptables. C’est ce dernier type de violence que vise généralement la critique féministe anti-porno lorsqu’elle dénonce l’objectivation des femmes conduisant à la réduction de la personne à une chose, à un pur moyen du plaisir masculin. Le porno serait selon cette critique la plupart du temps phallocentrique et constituerait un nouveau moyen de reproduction de la violence sexiste misogyne de notre société. Que les femmes aient l’air de prendre leur pied n’est pas pour cette critique un contre argument, puisque cela fait partie du plaisir des hommes de voir les femmes gémir de plaisir aux caresses (c’est un euphémisme) qu’ils leur prodiguent : le plaisir féminin lui-même est instrumentalisé et assujetti au plaisir masculin, il n’est que très rarement considéré pour lui-même. Le fait même que la scène de cul standard commence par une fellation et se termine par une éjaculation faciale serait le signe le plus évident de cette instrumentalisation sexiste. Bref, dans le porno le plus courant, la subjectivité de la femme n’est pas respectée, les femmes sont assujetties, double violence ordinaire que la représentation incite à reproduire en y associant le plaisir du voyeurisme. Le problème de cette critique me semble venir de sa surinterprétation des images. Si le plaisir des femmes n’est pas considéré pour lui puisque réglé sur le plaisir masculin, il n’y est pourtant pas assujetti dans un sens fort. Si le plaisir des femmes n’est pas recherché en lui-même, il reste présent puisque les actrices expriment ou simulent un plaisir dans la grande majorité des cas (peu importe qu’il soit simulé puisque ici l’important est que le spectateur puisse y  croire). Le consentement des personnages/actrices est donc présenté comme étant au pire indifférent. Il n’y a pas ici d’immoralité. La critique anti-porno est donc obligée d’interpréter le consentement volontaire apparent comme un consentement forcé en réalité. Ce type d’analyse me semble trop reposer sur une métaphysique de la liberté ou une confusion entre éthique et morale illégitime puisque conduisant au paternalisme moral (là aussi voir notre précédent article).

 

 

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La femme offerte : rêve ou cauchemar ?

 

 Photo de  Bettina Rheims  tirée de "Chambre close" - source.

 

 

Le porno-chic échappe-t-il mieux à cette critique anti-porno que le gonzo ? Pour les mêmes raisons énoncées précédemment, on peut dire que la contextualisation de l’histoire rend la violence ordinaire représentée moins incitatrice en faisant de l’excitation un fantasme (par exemple, les fantasmes de soubrettes soumises ou plus généralement de la jeune femme naïve qu’il va s’agir d’éduquer à la sexualité). Par contre, le gonzo s’institue plus facilement en norme de ce que doivent être les rapports sexuels en raison de cet effet de réel recherché. Le porno-chic inscrit cette violence ordinaire dans un monde fictif qui par l’histoire et les personnages déconnectent les normes qu’ils représentent du monde du spectateur. Dans le porno-chic, ces normes deviennent des variations possibles de notre monde, des normes possibles de son désir, mais c’est l’interprétation du spectateur qui détermine si elles peuvent devenir des normes pratiques pour le monde réel. La violence ordinaire est sublimée dans le fantasme, et si le fantasme peut être réinvesti dans le monde réel, ce réinvestissement n’est pas immédiat et dépend de la responsabilité du spectateur. Par contre dans le gonzo les normes ne sont pas seulement possibles, mais s’imposent directement comme normes pratiques du désir du spectateur. Elles n’ouvrent pas un espace d’interprétation possible, mais conditionnent à voir le sexe et les autres à travers les schémas représentés. L’incitation à la violence ordinaire (assujettissement et objectification) est donc plus forte dans le gonzo que dans le porno-chic.

 

 

Last but not least : l’incitation à la partouze est-elle morale ?

 


 

Dolce

 

Polémique autour d'une publicité qui pourrait être interdite pour incitation au viol collectif?

source.

 

Il en est de même pour une troisième forme de violence représentée, beaucoup plus subtile, liée au mensonge et à la tromperie. Le porno n’exploite pas seulement le thème de l’échangisme et de la sexualité de groupe (presque tout porno culmine dans des scènes de partouzes), il repose souvent sur l’idée d’absence de fidélité et d’exclusivité des rapports sexuels. L’adultère et l’échangisme n’est pas immoral en soi lorsqu’il est consenti volontairement pour des raisons concrètes par les deux membres du couple. Par contre, mentir et tromper ne peuvent être l’objet d’un consentement volontaire, car tout le monde souffre de voir sa confiance trahie. Le porno met en scène de manière permanente le mensonge et la tromperie. Si cette forme de violence s’imposait comme modèle des relations sexuelles, alors on pourrait qualifier le porno d’immoral de ce point de vue là.

 

Comme la partouze n’implique pas nécessairement cette forme de violence et que seul le récit dans lequel elle s’inscrit permet de dire s’il y a ou non une tromperie ou des trahisons, on peut dire que le porno-chic est de ce point de vue plus immoral que le gonzo (puisque ce type de films réduit l’histoire et les personnages à rien). De plus, le gonzo visant un voyeurisme participatif, il réalise plus son but en isolant les couples qu’en montrant une sexualité de groupe à laquelle le spectateur peut moins facilement participer. Le porno-chic est donc plus amené à exploiter le thème de l’infidélité. Or comme le porno-chic le situe davantage dans le domaine du fantasme, on peut difficilement y voir ici un modèle pour le spectateur ou une incitation à l’infidélité.

 

 

La représentation pornographique de la sexualité est-elle en soi violente ?

 

 

origine du monde

 

Courbet, L'origine du monde (1866) - source.


 

Une autre critique plus fine affirme que ce n’est pas ce qui est représenté qui constitue la violence la plus forte, mais la manière de le représenter. Cette violence de la représentation cinématographique affecterait d’ailleurs pour une fois autant la représentation des hommes que des femmes. Les gros plans des parties génitales, en coupant les visages des sexes, auraient pour effet d’objectiver les corps et de réduire la sexualité à une mécanique sans subjectivité. Déjà « l’origine du monde » de Courbet a pu être critiquée comme une incitation à l’assujettissement des femmes en isolant le bas ventre du reste du corps (et notamment du visage). Le gonzo serait ici plus susceptible d’une telle critique puisqu’en recherchant un effet de réel et en tendant vers le documentaire, ce genre tend à faire des images de mauvaise qualité, à négliger tout montage (lorsque le film ne se réduit pas à un seul plan), contrairement au porno-chic qui cherche au contraire à esthétiser l’acte sexuel et à le mettre en scène dans un montage censé lui donner un sens au sein d’une histoire. Pourtant, il me semble que ce genre de critique repose sur une moralisation illégitime de critères esthétiques. Elle relève plus d’un moralisme (confusion entre éthique et morale) que d’une évaluation morale légitime. Au fond, ce qu’on reproche au gonzo de ce point de vue là, c’est de représenter plus crûment l’acte sexuel que le porno-chic. En utilisant les moyens qu’offre l’art cinématographique pour raconter une histoire, le porno-chic esthétise l’acte sexuel. En s’écartant de cette esthétisation, le gonzo se voit accusé de produire une pornographie de caniveau aux effets aliénants et déshumanisants chez les consommateurs les plus réguliers. Si de tels effets peuvent se produire, il ne me semble pas que ce soit à une évaluation morale du porno de les dénoncer mais à une évaluation éthique. En quoi le porno est-il susceptible d’un discours éthique ? En quoi l’usage du porno peut-il être utile, au-delà de la simple excitation et de la satisfaction de notre voyeurisme, à l’épanouissement de la sexualité humaine ? Son usage peut-il être joyeux ou nous condamne-t-il à la tristesse ? Rend-il plus libre ou au contraire plus servile ?

 

De nouveau le suspens est à son comble. La suite au prochain numéro.

 

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