L'intrigue ne sera pas surfacturée par votre opérateur car elle tient aisément sur un sms: Serena (S) après une absence aussi longue qu'étrange revient à New-York constater que la vie a bien changé en son absence et sa meilleure amie Blair (B), qui a eu vent de la possible trahison de son amie (elle a eu le bon goût de sortir avec Nate son petit ami qui surjoue à la perfection l'absence de charisme), a décidé de le lui faire comprendre. Heureusement un nouveau venu dans ce monde glossy, le gentil Dan (alias le Labrador humain - il est aussi sympa que vide d'émotions) va la "reconnecter" avec la réalité d'un monde prêt à sombrer dans les tourments de la crise financière.
Un soap propret et teen à souhait !? certes mais aussi entre les lignes une violente critique post-moderne de l'aliénation technique - un pamphlet dont la radicalité fait passer le petit livre/bijou de Giorgio Agamben (G) Qu'est-ce qu'un dispositif? pour un tract syndical de l'éducation nationale.
En effet dès la fin du générique, à la première parole de la narratrice fantôme, l'effet principal du dispositif tant dénoncé par G (Agamben pas Armani) est mis en valeur: la désubjectivation. Les figures mêmes de la série perdent leur identité et ne sont plus désignées que par leur avatar SMS, le dernier résidu d'elle-même: la première lettre de leur prénom. S et B deviennent des standards: la gentille blonde / la méchante (parce que jalouse) brune. L'histoire est pliée - notre intérêt aussi. Car nul besoin d'aller plus loin : les épisodes se succèdent et se ressemblent dans une fadeur qui n'a d'étonnant que le propos qu'ils soutiennent: le RIEN. Pourtant en creux se dessinent un personnage plus complexe que les autres, un pouvoir diffus qui prend le contrôle de ces poupées désincarnées: le réseau en général et le portable en particulier. L'intrigue n'est alimentée que par ce biais et, comble du pirandellisme, l'histoire même vous est contée - ou du moins est alimentée - par un blog imaginaire dont la saillante journaliste se révèle être la perfide narratrice de votre ennui. Du coup le spectateur lui-même se retrouve être un des acteurs du soap qui est sensé suivre, dans une frénésie à peine feinte, les péripéties de ce microcosme qui ne prend sens que lorsqu'il est rapporté sur le web à la vue de tous. C'est un point qui méritait d'être souligné car, dans le premier épisode, chaque personnage se demande s'il fait une action digne de figurer dans ces annales héroïques de la banalité teenager. Le net devient alors le centre d'un réseau qui ne prend sens que dans et par lui-même faisant ainsi de chaque personne un pion qui n'a une signification que par l'ensemble et plus précisément que par le nombre de liaisons qu'il entretient avec l'ensemble. En somme, vous n'êtes un personnage de premier plan que si vous alimentez et dispersez votre vie sur ce réseau. Nous sommes donc pris dans la toile qui s'éprend de nous afin de vider un peu ce qui nous constitue. Cette emprise est l'acte fondateur de tout dispositif - il est sa signature, comme le souligne bien G. lorsqu'il définit en l'élargissant le champ de ce concept:
"j’appelle dispositif tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les
conduites, les opinions et les discours des êtres vivants. Pas seulement les prisons donc, les asiles, le panoptikon, les écoles, la confession, les usines, les disciplines,
les mesures juridiques, dont l’articulation avec le pouvoir est en un sens évidente, mais aussi le stylo, l’écriture, la littérature, la philosophie, l’agriculture, la cigarette, la
navigation, les ordinateurs, les téléphones portables et, pourquoi pas, le langage lui-même, peut-être le plus ancien dispositif dans lequel, plusieurs milliers d’années déjà, un primate,
probablement incapable de se rendre compte des conséquences qui l’attendaient, eut l’inconscience de se faire prendre."