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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 17:28

Il faudrait couper la France en deux. Les amateurs de Johnny Hallyday, et les autres, qu’on sauverait des flammes de l’enfer. 

 

On aurait pu intituler ce post « la France qui pourrit et celle qui s’ennuie ». On aurait pu encore parler du retour des symboles canins dans la chanson française : « entre punks à chiens et T-shirts husky », bref, entre Soan et Johnny. Mais on a préféré sobrement parler des relations de l’art et du pouvoir. Ce qui revient au goût du jour, c’est la nécessité pour le pouvoir de s’incarner dans l’art, et de l’art de trouver une place au chaud près du pouvoir (et bientôt un post sur Obama et Shepard Fairey, son portraitiste officiel). La confiance des citoyens dans les hommes politiques, et la confiance du public dans les artistes ne se suffisent plus à elles-mêmes. La récente accointance entre artiste et hommes politiques autour du projet Hadopi montre bien à quel point les citoyens consommateurs tracent leurs routes d’un côté, et les artistes et les politiques de l’autre. C’est le retour de la grande alliance entre art et pouvoir, avec le but commun de vivifier un peu les symboles.

 


source


Tout commence par un article, un article de Libé, sobrement intitulé « Saint Johnny », qui rendait compte du dernier concert de la momie Optic 2000. La seule petite description du concert consistait à dire qu’à son concert existait « une espèce de ferveur très bizarre, difficile à expliquer aux profanes » (Libé, 1er juin 2009). Si, en sortant d’un concert fabuleux, on vous sort une telle connerie, doutez aussitôt de l’universalité kantienne du beau.

Plutôt qu’une description de ce concert, l’article est une longue diatribe contre « les vautours »… Qui sont-ils ? Nul ne sait (peut-être parle-t-on de ceux qui pensent que chanter « 3549 chansons » n’est pas nécessairement un gage de qualité ?). Il semble, au contraire, que le ciel de la chanson française manque de vautours tournoyant dans les airs, prêts à finir le travail de la chaîne alimentaire. Le titre de l’article « Saint Johnny » résume parfaitement le problème. Cette sanctification est le signe d’une absence de second degré déjà assez étrange pour un journal (un peu) contestataire : « Saint Johnny », posé là, sans guillemets, sans autre mot pour attester une éventuelle ironie. Qu’une telle dévotion, jusque dans les colonnes de Libé, soit devenue possible indique un consensus médiatique assez massif. 



Un exemple de Johnny- Art? source


On prévient : on n’a rien contre les consensus, on n’a rien contre les communions, on n’a même rien contre les idoles. Mais c’est un signe : on n’a plus rien à dire de ses concerts et de ses chansons (pourtant si aisément identifiables comme pourries), on ne disserte plus que sur le statut à accorder à son existence : miraculeuse, sainte, ou extraordinaire ? Johnny est désormais une fausse idole, rempaillée médiatiquement et politiquement par les bonnes attentions du pouvoir. Il ne tient plus que par de si grosses ficelles qu’elles nous sautent aux yeux. Dix ans de collaboration avec le pouvoir. L’art et le pouvoir n’ont jamais été aussi potes. On égraine les petits indices : 

1. Légion d’honneur en 1997.

2. Nicolas Sarkozy est ensuite celui qui a célébré le mariage de Johnny avec Laetitia (tableau balzacien : rencontrée à 19 ans, mariée à 21 ans, multiplement cocue depuis). L’idylle commence en 1999. Nico et Johnny deviennent potes, tout simplement.



source
 
3. Mis en cause en 2001 pour tentative de viol par une jeune employée de son yacht, Johnny bénéficie en 2006 (cinq ans de procédure !) d’un non-lieu… Mais le plus drôle est que la justice n’a pas non plus condamné la jeune femme pour diffamation, estimant qu’elle n’a jamais menti… ! Que s’est-il passé ? Un petit coup de pouce ? Non, mais des pressions. Eric Montgolfier, en charge de l’affaire, interrogé sur les éventuelles pressions, explique un peu : « Je ne comprends pas d’ailleurs toutes ces réactions qui se produisent. À croire qu’un certain nombre de gens soutenant Johnny Hallyday vont finir par nous faire croire qu’il est coupable. » A l’époque, c’est Bernadette Chirac qui avait invité le chanteur à une petite fête en Corrèze pour dire combien il était aimé, aimable, touchant et intouchable. Et en pleine opération pièces jaunes, elle balance : « les Français n’aiment pas que l’on s’attaque à Johnny. C’est une très mauvaise opération de s’attaquer à lui. » On ne parle plus de l’Etat français, mais des Français. C’est la première occurrence de « l’amour des Français » pour Johnny. Car avec Johnny, on vise le cœur du petit citoyen, le cœur sensible et penaud de la « France d’en bas » (l’expression folle de condescendance du premier ministre Raffarin).
 

4. Rappel 2007 : Chirac s’est fait maraver, Hallyday soutient Sarkozy au moment de la campagne.

 
 

5. Petit moment d’ironie : c’est Johnny Hallyday qui remplace Nicolas Sarkozy aux funérailles de Luciano Pavarotti. C’est une estimation qui, peut-être, n’est pas si fausse, Pavarotti était un peu le Johnny Hallyday du chant lyrique…

6. Johnny s’évade fiscalement. ça fout le bordel quand on propose de faire revenir les riches en leur promettant moins d’impôts. Mais Johnny fait du Johnny, et il rapporte maladroitement les propos de son poto Sarkozy, qui l’exonère de tout péché : « Il m'a dit : "Écoute Coco, t'avais envie de le faire, tu l'as fait, t'as bien fait" » (Le Figaro, novembre 2007). Que dire ? On n’a plus assez d’indignation pour faire face… je crois que je vais me mettre à applaudir.

7. Sarkozy vient dîner chez Johnny, dans sa demeure au joli nom « Le Savannah », à Marne-la-Coquette (janvier 2008). Le « Savannah »… quelle signification préférez-vous ? La ville de Géorgie, le fleuve, le bateau ou la race de chat hybride, une sorte de husky félin, à mi-chemin entre le chat domestique et le très sauvage et très indomptable serval… ?

 
Johnny art 2 ? - non simplement deux savannah. Source.

 

8. Mais il y a aussi des moments de malaise dans la belle idylle Jo-Sarko, des malaises qui feraient mourir de rire les vautours qui attendent de bouffer le Johnny. En 2008, lors de l’anniversaire du chef de la France, c’est le clash… Johnny s’en prend à Michel (Sardou) parce que Michel se moque de la piteuse vie de famille du beau blond. Sarkozy a dû intervenir… Ou plutôt non, les amis de Sarkozy ont dû intervenir : Arthur et Estelle se sont jetés dans la mêlée pour les séparer ! C’est beau comme du Flaubert écrivant dans Gala. (info signée Le Point, février 2008).

9. Enfin, le presque-meilleur est à venir. David Hallyday, le fils blond du vieux beau blond, qui voit sa carrière musicale battre de l’aile, estime que la télévision lui conviendrait mieux. Il monte une boîte, DHCV, avec son ami Cyril Viguier. Mais en plus du portrait hagiographique qu’il prépare de son père, il vise sur France 2 la case du samedi après-midi. « Johnny Hallyday a téléphoné à Sarkozy pour obtenir un rendez-vous pour son fils David ». Et c’est le photographe officiel du couple Sarko-Carla, Pascal Rostain, qui le dit. Mais le plus drôle arrive. Nicolas Sarkozy reçoit David et il lui explique qu’il ne semble plus y avoir de créneau à la télé pour sa petite émission. Quelques temps passent. Puis février 2009, il convoque Patrice Duhamel, le numéro 2 de France télévision, et lui demande purement et simplement de libérer un créneau.  

10. Et là : le meilleur, à pleurer de rire ou de désespoir. Sarkozy impose Johnny Hallyday pour le 14 juillet : cachet à 500 000 euros. (Le Point, 26 mars 2009… qui en a entendu parler ?). D’ordinaire, le cachet de Johnny pour un concert de sa dernière tournée est de 200 000 euros. Et le dernier gros cachet du 14 juillet était celui de Polnareff, à 315 000 euros. Et si on prévoyait déjà une bonne grosse statue de veau dorée, payée par le contribuable, pour mettre sur la tombe de Johnny Hallyday ?



Alors, il est facile de conclure. Le mécénat officiel est de retour, l’art n’est plus massivement une activité de rebelles, mais une industrie de luxe. On n’a pas besoin de beaucoup épiloguer sur l’art contemporain ; quant à l’art populaire, il n’a jamais été un grand catalyseur de révoltes. Il s’était simplement tenu loin des politiques. Désormais, on a faim de concorde : le pouvoir aime Johnny, et Johnny aime le pouvoir, et si les Français aiment Johnny, alors sans doute que les Français aimeront aussi le pouvoir... Car le matraquage médiatique marche, même quand c’est de la merde zombie morte-vivante. Et tous les fans de Johnny, s’ils en sont, devraient se rendre compte qu’on les prive de toute authenticité en rendant obligatoire d’idolâtrer leur icône.

Les cyniques pourront dire : qu’à cela ne tienne, Johnny est d’abord un symbole ; et la musique, quand il s’agit de musique populaire, on s’en fout (puisque c’est bien ainsi que l’entendent certains de ses défenseurs). Johnny est le chanteur français des années 2000. Il n’a jamais autant vendu, on ne l’a jamais autant vu. Il éclipse tous les autres chanteurs dans les classements. Et les Français l’adorent, et les critiques rock décatis, et même les jeunes des télé-crochets lui font de la lèche. S’il n’est plus qu’un symbole, parlons du symbole. Se rend-on compte que nous faisons représenter la France de l’an 2000 par un mec de soixante balais, simplement pote avec le président ? Ou pour le dire de façon plus partisane : on fait représenter la France par un cadavre ambulant, libidineux, aussi ridicule que stupide, excité par l’or et les chats sauvages. La France Black Blanc Beur pourra attendre, la France des intellectuels se rendormir dans son cercueil, la France de la tolérance et des mouvements féministes ou LGBT retourner à ses théories labyrinthiques… car c’est la France des retraités de droite qui vient de nous entuber.

 

source

 Symboles contre symboles, on pouvait croire qu’on avait une longueur d’avance quand les Etats-Unis se retrouvaient avec G. W. Bush et Britney Pouf en deux seuls produits d’exportations massifs. Pour cette raison, on doit vomir et cracher devant cette icône, car on ne se reconnaît pas en elle. Le papa national qu’on s’est choisi est uniquement passionné par la thune, le sexe et les paillettes, quand, à l’autre bout de l’Atlantique, ils ont un demi-dieu praliné élégant et vif, métis qui plus est, et dont la famille, à elle seule, réconcilie les deux versants d’un monde en train de se déchirer. 

Bien sûr qu’on va s’incliner aux pieds d’Obama.


Obama - what else !? source

 

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