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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 22:42

 

Le chanteur crooner des Flight of the Conchords : Jemaine Clement, solo, entouré de chœurs féminins (ou de son pote Bret, suivant les versions).

Couplet, refrain, couplet, refrain. Pop. Tout ça est très pop, rêveur à souhait, synthés enfantins, et flûtes à coulisses. Mais pour cette chanson, l’emprunt aux arrangements pop n’est pas parodique. L’univers musical naturel des Flight of the Conchords, guitares et chœurs, se trouve presque exposé pour ce qu’il est, sans fard.





L’important c’est le texte. Une chanson sur les échecs amoureux assez ordinaire, un peu drôle, mais qui présente une nouveauté : le chanteur lutte contre les chœurs féminins de ses ex quant au sens à donner à ces échecs amoureux.

Le couplet est entièrement masculin. Notre jeune héros hétérosexuel raconte comment toutes ses ex l’ont plaqué. Les motifs sont apparemment fantaisistes, ce qui masque des raisons beaucoup plus définitives,  et les moyens tout aussi expéditifs, ce qui pour le coup ne masque pas le désir de ses ex d’en finir. Toutes ont donc cassé, par lettre, par téléphone, sur des coups de poings ou des excuses bidon… jusqu’à l’ex ultime, Carole Brown, qui prend tout simplement le bus pour fuir de la ville (Carole Brown just took the bus out of town).

Les refrains quant à eux sont féminins, et ils exposent les raisons de toutes ces ex pour avoir fui devant ce garçon-enfant, incapable de cuisiner, de laver, bref, de « s’engager »… Mais le héros lutte. Et c’est tout le sel de la chanson : à tous ses souvenirs d’ex lui lançant ses quatre vérités, il chante sans relâche un « shut up girlfriends from the past » de crooner.

Une simple guéguerre homme-femme… ?

Disons seulement que la chanson est immédiatement compréhensible sous cet angle.

Jemaine Clement et Loren Horsley dans EAGLE VS. SHARK - source.

Mais, Jemaine ne semble pas considérer que ce défilé d’ex soit un échec. Il ne semble pas considérer que de ne pas réussir à « s’engager » soit un échec. Là où beaucoup chanteraient la fin, triste et pitoyable, de ses histoires d’amour, et là où l’ex rappellerait cruellement que le mec minable qu’il était n’a qu’à pleurnicher le visage collé au caniveau, là où l’amour est considéré comme une guerre, la lutte du héros contre ses ex est une lutte sémantique. La question posée n’est pas qui est responsable de la fin, parce que ce serait chercher un coupable, et donc se trouver d’accord sur l’exigence première : toute relation amoureuse doit se poursuivre indéfiniment sans quoi on porte l’échec de cette relation sur soi. La redéfinition que tente courageusement Jemaine (sous couvert de machisme, probablement) est : « Quel statut donner à la fin d’une relation ? »

 



Pourquoi finir serait un échec ?

Le récent et superbe ouvrage de vulgarisation de Pascal Picq sur la sexualité des grands singes, et son évolution jusqu’à l’homme, pose la même question. Il y a un écart entre les exigences de la nature et celles de la culture concernant la sexualité qui n’est pas négligeable. L’ouvrage permet utilement de se demander si la culture n’entretient pas une trop longue hypocrisie – d’ailleurs, nul besoin d’être paléoanthropologue et/ou intéressé par la sociobiologie des primates pour dire cela : L’humain n’est jamais monogame. Il est polygame, mais attention l’humain n’est pas naturellement polygame simultané, entretenant un harem (la thèse intéressante de Picq sur le sujet est que l’homme est en cela plus proche des communautés poly-mâles poly-femelles des chimpanzés que des harems des gorilles), mais un polygame successif.

 

 

L’écrasante partie d’entre nous a eu plusieurs relations dans sa vie. Mais une culture nous impose d’en retenir une comme prévalente. Une seule de ces relations doit être dite amoureuse. A tel point que la situation la plus embarrassante serait d’avoir une nouvelle relation mais qu’en la qualifiant, nous n’arrivions pas, face à la personne actuellement aimée, à la qualifier comme « le plus grand amour de sa vie, le seul et l’unique ». L’aimé pourrait alors immédiatement saisir l’occasion de prouver que l’amant ne l’aime pas véritablement, et tous les codes culturels, au moins occidentaux, lui donneraient raison. Le cas le plus probable dans ce type de situation serait – mais peu de monde se risque à jouer franc jeu à ce point – de dire qu’il y a eu de l’amour avant avec une personne, et qu’il y a de l’amour maintenant avec une autre personne. Ce qui partage le cœur en plusieurs petits morceaux, également comestibles, et définit donc cet homme ou femme comme polyandre/game, mais successif, ou diachronique si on préfère.

Dire tout ça paraît d’une banale évidence, mais le mettre en pratique et en saisir concrètement les effets serait bien moins banal – une lutte comme le chante le bon Jemaine. Plus de Sex and the city larmoyant, plus de Bridget Jones déplorante, plus de Hank Moody déprimant… Plus de reproche consistant à ne pas s’engager – qui, de toute façon, à part des sartriens qui se sont vraiment tapés l’Être et le Néant peuvent savoir ce que signifie « s’engager » ? On devrait utiliser le bon mot qui fout les jetons : sacrifier. Je ne m’engage pas, je me sacrifie.

Bref, tous vivraient dans un environnement culturel où l’échec amoureux n’existe pas. Ça ne voudrait pas dire nécessairement papillonner, baiser, ou partouzer, mais seulement ne pas artificiellement souffrir parce qu’on ne joue pas le jeu de l’exclusivité amoureuse. 

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commentaires

A
<br /> Cf. sur la route de Madison ;-)<br /> <br /> <br />
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