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3 mars 2010 3 03 /03 /mars /2010 19:00

De L’invention du mensonge, film de Ricky Gervais et Matthew Robinson sorti en 2009, il n’y a pas grand chose à dire du point de vue esthétique. À mon avis mal filmé et pas toujours très bien joué, le film est proche du nanar de ce côté-là, surtout si on a la malchance de tomber sur la version française. Par contre, il se présente comme une comédie satirique intelligente derrière ses aspects de comédie potache grand public. La page anglaise de wikipédia présente le film comme an American high concept romantic comedy. High concept est le plus souvent un terme utilisé dans un sens ironique pour désigner un film basé sur une seule idée sans recherche esthétique ni effort intellectuel pour en développer les conséquences ou l’intégrer dans un monde complexe. Est-ce le cas ici ? Le qualificatif High ne doit-il être pris qu’ironiquement ? 





high concept

Un ouvrage théorique indispensable pour frimer dans son salon - source.
Wyatt, Justin. High Concept. Austin: University of Texas Press, 1994 



Une comédie potache

 

The Invention of lying est une comédie dont le principe est très simple en apparence : soit un monde en tout comparable au nôtre (à l’Amérique d’aujourd’hui s’entend) où le mensonge n’existe pas et où donc tout le monde croit aveuglément ce que les autres disent ; dans ce monde qu’on peut appeler le monde de la véracité, un homme devient soudainement capable de mentir, qu’arrive-t-il à cet individu que tout le monde croit ? Comédie avant tout, le film exploite d’abord ce principe en faisant dire aux hommes de ce monde parallèle (où la duplicité, la tromperie, l’hypocrisie n’existent pas selon le générique) ce qu’il y aurait de gênant à dire dans le nôtre. Le film commence ainsi sur un gros plan d’un individu lambda déclarant à son employeur qu’il ne veut pas venir travailler, non parce qu’il malade, mais parce qu’il n’en a pas envie et déteste ce travail, puis un autre proclame aux parents d’un nouveau-né que ce dernier est laid comme un rat, enfin une femme annonce à la personne avec qui elle dîne et qui est sur le point de commander au restaurant qu’elle vient de faire le plus gros caca de sa vie. Bref, voilà trois déclarations qui démontrent par l’absurde que le mensonge est une nécessité sociale absolue. La véracité est pratiquement et socialement impossible puisqu’elle conduit à dire des choses affreusement embarrassantes détruisant premièrement la sociabilité minimale nécessaire au monde du travail et aux relations professionnelles, deuxièmement l’amabilité soudant les relations amicales, troisièmement les convenances et la politesse minimales qui rendent la moindre relation sociale envisageable. Qui en effet peut vouloir commander son repas au restaurant, s’ouvrir l’appétit donc, tout en glosant sur le gros caca qui vient d’être fait ?


Le trailer de The Invention of lying.


La première séquence développe à son plus haut point les possibilités comiques d’un tel univers : qu’advient-il lors d’un premier rendez-vous amoureux, on a first date ? Le héros et narrateur du film, Mark Bellison (joué par Ricky Gervais), petit gros peu séduisant, frappe à la porte de son rendez-vous. La porte s’ouvre sur une plantureuse femme, Anna MacDoogles (jouée par Jennifer Garner), qui déclare tout de go qu’elle était en train de se masturber (ce qui fait dire à notre héros que cela lui fait penser à son vagin) et qu’elle ne pense pas coucher avec lui ce soir. Suit alors toute une série d’humiliations plus embarrassantes les unes que les autres : au restaurant, le garçon avoue avoir bu dans le cocktail de la femme, et affirme qu’elle est bien trop belle pour un type comme Mark, qu’il n’a aucune chance, etc… Là encore, toutes ces situations sont socialement impossibles et c’est justement parce qu’un tel monde est socialement impossible qu’il est comique. On ne rirait pas s’il l’était. En fait, un monde plausible où tous les hommes diraient la vérité aurait une société et un ensemble de relations sociales totalement méconnaissables. Or le monde du film est en tout point semblable aux nôtres. Ce monde n’est donc pas sérieux et c’est pour cela qu’il est marrant. Je m’explique :

 

Pas sérieux, car il repose sur une loi (la véracité systématique) qui n’a de sens que dans un système de lois différent du système régissant notre monde. Une loi (physique, sociale) n’est pas indépendante du système de lois dans lequel elle s’inscrit. On ne peut la changer en maintenant les autres lois. Leibniz a montré que parmi tous les mondes possibles, le nôtre est le meilleur parce que le système de lois qui le régit est celui qui permet la production du plus grand nombre de phénomènes tout en ayant le plus petit nombre de lois. Ceux qui objectent que ce monde n’est pas le meilleur puisqu’un monde sans mal (sans mensonge par exemple) serait meilleur ne comprennent pas que les lois humaines qui permettent le mal sont les seules qui s’accordent avec le réseau ou système de lois qui régissent le monde dans son ensemble. Un monde sans mal ne serait pas meilleur car il aurait un système de lois totalement différent, permettant un moins grand nombre de phénomènes pour un plus grand nombre de lois. Bref, une loi ne se conçoit que par « l’harmonie » qu’elle entretient avec les autres lois. Le monde de ce film n’est donc pas sérieux. Il repose sur une convention artificielle plutôt que sur une loi régissant un ordre. 



bahlsen-choco-leibniz.jpg        

 Leibniz est un grand philosophe du XVII mais ce sont aussi des biscuits appréciés des Polonais - source.


C’est justement ce manque de sérieux qui rend le rire possible. En effet, le rire est le produit d’un décalage invraisemblable, mais qu’on accepte pour les besoins de la cause, entre un monde semblable au nôtre et une loi radicalement contraire à l’une de nos lois sociales les mieux établies : le mensonge dans les situations embarrassantes. Pour prendre un autre exemple, l’apesanteur d’un corps ne fait rire que si les lois de la gravité sont transgressées dans un monde qui ne se conçoit que par elles. C’est parce que ces situations sont absurdes qu’elles font rire. La question est donc de savoir si le monde du film (ce monde où l’on ne ment jamais, le monde de la véracité) a un intérêt autre que celui de provoquer des situations cocasses ? Après un tel commencement, continuer de faire rire sur le même registre ne pouvait être possible. On ne voit pas vraiment quel thème de notre réalité l’impératif de véracité pouvait mobiliser pour faire rire davantage : après le thème de la sexualité, le film ne pouvait que s’essouffler, à moins de changer de registre et devenir plus subtil.  



Un monde matérialiste : le cauchemar de Kant.

 

R gervais
Jennifer Garner est-elle kantienne ? - source. 


C’est ce que fait heureusement la suite en développant les conséquences d’une société fondée sur la véracité. Le film s’écarte donc de la comédie de mœurs bien grasse pour prendre au sérieux la possibilité d’un tel monde. Pour parler en langage leibnizien, on peut dire qu’il cherche à déployer le système harmonique auquel une telle loi se trouve liée. En cela le film se rapproche du genre de la science-fiction (ou de la fantaisie, du merveilleux) qui s’est toujours efforcé de déployer un monde possible cohérent, une totalité systématique, à partir d’un principe (ou d’une loi) différent de ceux qui régissent notre monde. C’est d’ailleurs cet aspect de la science-fiction que la rend souvent bien plus stimulante intellectuellement que la comédie. On nous dit/montre donc que dans un monde où personne ne ment, la société est fortement hiérarchisée : d’un côté les nuls, les ratés, the losers dont fait partie Mark Bellison ; de l’autre les hommes supérieurs, the winners, qu’incarnent l’héroïne Anna McDoogles et le double-rival du héros, Brad Kessler (joué par Rob Lowe), travaillant comme lui en tant que scénariste de films dans la même boite de prod. Cette hiérarchie sociale est fondée entièrement sur la beauté parce que la richesse et les honneurs semblent découler du succès « naturel » qu’apporte la beauté physique de l’individu. En effet, les nuls dont font partie le meilleur ami de Mark,  alcoolique bedonnant et à moitié chauve, ou encore son voisin obèse, dépressif suicidaire, sont tous gros et laids. Mais le film nous dit aussi que les vieux malades, qui, comme la mère du héros, végètent dans des « maisons pour vieux sans espoir », sont aussi des nuls. Les critères de la hiérarchie sociale sont donc purement matérialistes : beauté, santé et jeunesse. Brad et Anna sont d’ailleurs les porte-parole de ces critères dans le film. Dans une scène de restaurant, Mark drague Anna en lui disant que sont temps est compté et que sa beauté se fanera bientôt, ce qui la fera automatiquement passer du côté des losers de la société. Pourquoi ces critères structurent-ils le monde de la véracité ? Parce qu’ils sont concrets, ce sont ceux de l’expérience immédiate, ce sont eux qui prévalent lorsqu’on dit « la vérité et rien que la vérité ». Le film montre comment ces critères matérialistes transforment trois domaines de notre réalité : l’art, la mort et l’amour.

 


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La réalité réduite aux apparences : Brad Kessler  - source.


L’industrie cinématographique de ce monde ne connaît pas la fiction (la fiction est en effet un mensonge dont ces hommes ne peuvent avoir la moindre idée). Comme scénariste, Mark ne vend pas du rêve, mais vend des synthèses d’histoire (par exemple : l’invention de la fourchette) qui ne seront même pas jouées, mises en image (ce serait déjà du mensonge), mais simplement récitées par un lecteur. Manque de chance, Mark est scénariste du 14ème siècle et doit donc scénariser la peste noire. Aucune marge d’inventivité n’étant possible, ses scénarios sont des échecs alors que son double-rival Brad vole de succès en succès en scénarisant les guerres napoléoniennes. Le matérialisme pur impliqué par l’impératif de véracité s’accompagne donc d’une absence totale d’imagination. L’échec professionnel de Mark est l' effet inéluctable de sa laideur. Les nuls ont d’ailleurs si bien intériorisé ce mécanisme social que le voisin de Mark parle de son suicide comme s’il s’agissait d’une nécessité naturelle.

La mort, ensuite, est vécue comme un pur anéantissement. Là aussi, aucun moyen de se mentir : les faits sont les faits. On voit ainsi la mère du héros terrorisée par cette perspective que lui annonce froidement son médecin, terreur naturelle que tous acceptent. 



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Toute vérité est bonne à dire : "vous n'en avez plus que pour quelques heures." - source.
 

 

 

Enfin, l’amour est depuis la première scène jusqu’à la scène du mariage qui clôt le film entièrement conçu sur le mode de relation sexuelle dont le but est le plaisir, la possession d’une image sociale ou encore la reproduction. Plusieurs exemples sont donnés de cet amour matérialiste : les femmes sont habituées à décliner les avances que les hommes ne peuvent s’empêcher d’exprimer en permanence ; les alcooliques du bar désirent avant tout peloter les seins des serveuses ; quant à l’héroïne, elle désire surtout pouvoir faire des enfants avec un partenaire au code génétique irréprochable – le film assimilant de manière bizarre génotype et phénotype en feignant de croire que la beauté physique se transmet génétiquement. Enfin, le mariage entre Brad et Anna est présenté explicitement comme un calcul d’intérêt visant à apporter une sécurité financière à la femme et un prestige à l’homme, comme un contrat que les partis ne s’engagent à tenir que tant qu’ils le souhaitent, c’est-à-dire tant qu’ils le trouvent avantageux. 



Ces trois aspects de ce monde sont tous cohérents, ils déploient un matérialisme strict où le destin social des hommes est tout tracé par une nécessité naturelle au sens fort. L’intérêt de ce portrait d’un monde sans mensonge est qu’il va à contre-sens de l’image qu’on pourrait se faire d’un tel monde. Kant montre dans sa morale qu’un monde où tous mentiraient serait un monde impossible. Et c’est au contraire un monde sans mensonge qui serait idéal et pleinement vertueux. Or c’est précisément ce monde que le film met en image. Sans peut-être le savoir, Rick Gervais illustre parfaitement le fameux « Règne des fins » de Kant où Dieu accorde la vertu et la nature. Mais paradoxalement, ce film est le cauchemar de la morale kantienne, une inversion infernale de l’application de l’impératif catégorique : c’est l’universalisation d’une maxime morale (tu ne mentiras point) qui conduit à l’immoralité systématique : un matérialisme égoïste et socialement injuste. La première leçon morale que l’on semble tirer de ce film est qu’il est immoral d’interdire le mensonge. L’invention du mensonge va être à cet égard un double miracle : un miracle psycho-physique d’abord, un miracle moral ensuite.


Apologie du mensonge

 

L’invention du mensonge est présentée d’abord comme un miracle psycho-physique car si le film semble dénoncer le matérialisme égoïste d’un monde où la véracité prévaut, il se fonde lui-même sur un matérialisme strict : le mensonge n’est pas inventé (et en cela le titre du film est mensonger !) ; il devient une aptitude du héros suite à une transformation soudaine d’une partie de son cerveau (un plan nous montre cet événement à l’intérieur du cerveau comme pour nous assurer que le mensonge a une origine physiologique). Mark ne sait pas comment ni pourquoi il a « inventé le mensonge ». Une fois « inventé », le mensonge ne va pas se répandre, comme on pourrait s'y attendre, à l’instar de toute invention sociale ou toute idée. Seul Mark reste doué de cette capacité. Il a beau expliquer à ses amis en quoi il consiste, ceux-ci ne peuvent le comprendre. Ce matérialisme sera encore confirmé à la fin du film puisque Mark nous assure, après une ellipse de quelques années, qu’il est toujours le seul à pouvoir mentir, à l’exception de son fils à qui il a transmis cette aptitude génétiquement. Prétendant dénoncer le matérialisme vulgaire qu’impliquerait une société où personne ne ment, le film partage lui-même un présupposé matérialiste. Le mensonge se définit normalement comme la volonté de dire le faux et de tromper. Ici, il n’y a pas plus de volonté que d’invention. Les mensonges du héros n’en sont pas vraiment. Nous y reviendrons.



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 Où trouver le mensonge ? - source.

 

 
Miracle moral, les soi-disant mensonges du héros le sont aussi. Il « invente » le mensonge dans une banque en déclarant avoir plus d’argent qu’il n’en a réellement sur son compte, mais ce mensonge lui permet seulement de ne pas être expulsé injustement de son appartement. Mark utilise le même mensonge pour sortir un SDF de son exclusion et de sa pauvreté, même chose avec son ami alcoolique dans la scène du casino. Il ne semble pas que le propos du film soit de montrer que c’est par le mensonge que les nuls de « notre » monde se sont enrichis, alors que les hommes méritants mais moraux sont pauvres. Cette interprétation moraliste du film ne voit pas que tous les effets du mensonge sont présentés positivement. Loin de dénoncer le mensonge, cette comédie satirique semble plutôt en montrer les effets moraux. En mentant à son voisin sur son avenir et sur l’intérêt qu’il lui porte, Mark conduit celui-ci à ne plus penser au suicide. C’est donc toute la cruauté de la hiérarchie sociale de ce monde matérialiste et égoïste qui semble être supprimée grâce au mensonge. Le mensonge rétablit notamment une forme de justice dans le monde du travail puisque Mark connaît enfin la gloire en inventant de vraies fictions divertissantes (que tous prennent pour argent comptant bien sûr), rabaissant ainsi son double-rival Brad, incapable d’une telle créativité. 


La terreur de la mort et de la déchéance dans laquelle vivent les vieux est elle aussi supprimée par le pieux mensonge sur l’existence d’une vie après la mort où l’individu est censé rejoindre ceux qu’il aime dans une villa (a mansion) pour l’éternité. Le film reprend donc l’idée platonicienne du mensonge vertueux (République 389b et 414a) : l’harmonie sociale et la paix rendent nécessaire le mensonge. Comme pour Platon, le mensonge trouve dans le film sa plus haute fonction morale dans la religion : Mark, pressé par la société (l’humanité entière grâce à la médiatisation) d’en dire plus sur la vie après la mort, invente en effet les principes d’une religion en prenant les traits de Moïse : dix commandements écrits sur deux boites à pizza « révèlent » l’existence d’un homme dans le ciel (A man in a sky) qui a créé et ordonné le monde, punira les méchants et récompensera les bons après leur mort en fonction de leur moralité. Alors que Platon présente le mythe d’Er comme un mythe probable auquel il faut croire, le mensonge religieux est présenté de manière ironique et satirique. La religion est bien présentée comme un mensonge reposant sur un calcul d’intérêt : la moralité, déterminée précisément pas une casuistique ridicule (trois fautes graves sont permises, tuer son animal domestique parce qu’on a oublié de le nourrir ne comptant pas comme une faute grave…). La moralité religieuse repose sur la lettre de l’obéissance à des préceptes déterminant la seule action et non sur l’esprit de sainteté. Le mensonge religieux en reste à une vision matérialiste des dogmes, celle de la foi du charbonnier (on nous apprend ainsi que la NASA cherche The man in the sky, que la promesse « d’une villa pour chacun » est prise au sens propre). La suite du film nous montre que finalement, la mentalité matérialiste de la société s’approprie le mensonge religieux sans changer l’ordre social ou les valeurs qui régissent les relations humaines : les nuls restent nuls, les hommes supérieurs le restent également. La religion est même présentée comme une aliénation lorsque Mark-Moïse ne peut accepter l’offre de l’héroïne de coucher avec lui pour la simple raison qu’il vient d’inventer la règle ô combien sacrée de ne pas coucher en dehors du mariage. Finalement, c’est parce que le mensonge religieux est très proche de la mentalité de ce monde matérialiste (qui n’agit que par intérêt) que la religion est acceptée si facilement par tous. Il n’en demeure pas moins que, mise à part cette critique satirique de la religion (identifiée au judaïsme), le mensonge religieux est présenté comme une nécessité sociale redonnant un espoir et un semblant de moralité à une société désespérée et égoïste. Qu’en est-il du thème principal du film : le mensonge transforme-t-il les relations amoureuses ?  



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Tentation et mensonge : les ingrédients originels du couple ?
Hans Baldung Grien, Eve, le serpent et la mort - source.


On ne ment pas en amour : la religion de l’amour selon Mark-Christ

 

Par trois fois, le héros est en mesure de coucher avec des femmes grâce à un mensonge. Par trois fois, il refuse de mentir. Alors qu’il est considéré comme légitime, voire moral et salutaire, nous venons de le voir, de mentir en ce qui concerne l’argent, l’image de soi, l’art, la vie après la mort et la récompense de la moralité, le héros a des scrupules à utiliser le mensonge en amour. L’idée est ici que l’amour (contrairement à la justice, la paix, l’espoir, …) est la seule valeur qui ne peut se réaliser sur un mensonge : l’amour doit être « vrai », authentique, pour exister. Lorsque Anna vient lui annoncer qu’elle va se marier avec son rival Brad, Mark sombre dans la dépression. Alors qu’il a tout pour être heureux : Argent, Gloire et sexe facile, il lui manque l’amour authentique, celui qu’on n’obtient pas par des mensonges. Le film montre alors le héros sous les traits de Jésus (barbu et cheveux longs, en sandales, un simple drap sur ses épaules). C’est ce refus de mentir en amour qui finalement associe le héros au Christ. Trois fois tenté par le mensonge, trois fois il résiste ; difficile de ne pas voir une référence aux trois tentations du désert. Comme le Christ, Mark doit affronter, alors qu’il est tout puissant,  les souffrances du sacrifice pour délivrer son message d’amour : l’amour ne doit pas reposer sur les apparences physiques ou sur un calcul d’intérêt. C’est d’ailleurs à une véritable Passion que l’on assiste dans la scène finale du mariage où Mark-Christ refuse pour la troisième fois d’utiliser son pouvoir alors qu’il pourrait, dans l’église qu’il a contribué à créer (le temple du Man in the sky, c’est-à-dire de Dieu), empêcher le mariage de la personne qu’il aime avec Brad le double-rival. Il est intéressant que ce soit à l’extérieur du temple (et donc du symbole de la religion) qu’enfin l’amour d’Anna pour Mark-Christ est déclarée : véritable Mystère selon les principes du film, l’héroïne accepte de se marier avec lui car elle a compris qu’elle ne sera heureuse qu’avec lui, même si les apparences lui sont défavorables. Sans mensonge, l’héroïne est capable de voir au-delà des apparences, de dépasser le matérialisme étriqué de son monde. Mark-Christ est donc sauvé par l’amour de l’héroïne. Son message est passé : l’amour doit être authentique, c’est-à-dire ne reposer ni sur le mensonge, ni sur les critères matérialistes du monde de la véracité (beauté, richesse, jeunesse et santé).  

 

En opposant une religion matérialiste (celle de Mark-Moïse) à une religion spiritualiste (celle de Mark-Christ), le film ne critique une religion (tout en affirmant sa nécessité sociale) que pour la remplacer par une autre : celle de l’amour. C’est là le propos ultime du film et en même temps ses limites. L’amour, tel que les hommes de ce monde vérace le conçoivent, est nous l’avons dit matérialiste, fondé sur les apparences confondues avec la réalité. Ce que nous dit paradoxalement la morale de ce film est que cet amour-là ment, il n’est pas réel, mais factice car sans profondeur. L’amour véritable se doit d’avoir une profondeur : il doit porter sur l’âme et non simplement sur le corps et l’image sociale des hommes. Cette morale du film est paradoxale puisqu’elle affirme à la fois que dans un monde où tous disent la vérité, il n’y a pas de véritable amour, mais que le mensonge ne peut pas fonder un amour véritable non plus. On voit la portée satirique du film sur « notre » monde : si nous étions honnêtes et sincères, alors nous verrions qu’aucun amour n’est vraiment pur, que ce par quoi nous sommes séduits renvoie toujours aux apparences et non à l’âme de la personne que nous aimons. Pourtant le film ne se contente pas de ce constat pessimiste, mais cherche une solution. La solution-Mystère (au sens  quasi-chrétien) de la fin du film est tout simplement incompréhensible et fonctionne comme un deus ex machina visant à sauver l’idéal de l’amour et son porte-parole dans le film, Mark-Christ. 



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 Faut-il sauver le sauveur ?  La Pieta de Paul Fryer - source.


 Ce happy-end est si peu crédible qu’on peut finalement se demander s’il n’est pas ironique. Film profondément noir, Ricky Gervais montre dans son film que l’amour est d’un autre monde, autre monde auquel il ne croit pas. Christianisme d’athée, on pourrait même dire avec Nietzsche que ce film est nihiliste : Il repose sur la croyance en une valeur (l’amour des âmes) tirée explicitement d’une tradition spirituelle dont on ne croit plus aux bases métaphysiques. En effet, ce film est une critique matérialiste du matérialisme vulgaire, critique nostalgique d’une valeur spirituelle devenue impossible à réaliser. Tout comme Nietzsche affirmant que « le christianisme est un platonisme pour le peuple », on peut dire que la religion moderne de l’amour (le romantisme ?) est un christianisme pour le peuple devenu matérialiste. Cette religion de l’amour de Mark-Christ n’est-elle pas qu’une illusion ? Est-il possible de sauver l’amour dans un monde matérialiste ou tout n’est qu’apparence et calcul d’intérêt ? Ce qui nous amène à notre remarque finale sur la cohérence de ce monde de la véracité. 

 

Un monde finalement peu cohérent reposant sur beaucoup de confusions.

ascenseur
 
 Les béotiens attendent l'amour ? - source.

The invention of Lying prend à contre-pied l’idée que dans un monde où on ne ment pas, les âmes se connaissent vraiment et vivent dans le mépris des apparences (hors de la caverne de Platon donc) ; où l’amour ne repose jamais sur la séduction, mais au contraire dans une fusion des âmes reposant sur la connaissance de leurs réalités (l’amour platonique) ; où encore, pour prendre la version chrétienne, dans la confession et la repentance permanente (le monastère idéal, la cité de Dieu d’Augustin). Au contraire, un monde où la véracité règne est selon le film un monde où les hommes n’ont pas d’âme, pas d’intériorité ; où toutes les relations humaines sont fondées sur des apparences ; où la réalité même se réduit aux apparences, dans une superficialité sans profondeur. Comment ce retournement de la croyance traditionnelle est-il possible ? Platon et Augustin se seraient-ils trompés, contrairement à Ricky Gervais ? 


 
En fait, le film repose tout entier sur une série de confusions dont la première est celle entre le mensonge et l’expression de soi, entre la tromperie et l’intimité : ne pas dire ce qu’on pense, c’est mentir. Tous les personnages parlent comme s’ils répondaient à un interrogatoire alors que rien ne leur est demandé dans le film. Une pensée qui n’est pas déclarée à un autre n’existe pas. Un personnage qui ne parle pas ne pense pas. La conséquence de cette confusion est qu’aucun individu de ce monde n’a d’intimité, n’a un monde intérieur de pensées, d’émotions, de désirs, de rêves que les autres pourraient ignorer. Ce manque d’intériorité réduit chaque personne à son expression, c’est-à-dire à son apparence : les hommes ne sont que des corps et des personnages sociaux, ils n’ont pas d’âme.  



lichtenstein-forget-it.jpg

Forget it ! - Roy Lichtenstein.


La deuxième confusion dérive clairement de la première : il n’y a pas de distinction entre l’apparence et la réalité, entre la vraisemblance et la vérité. Monde d’apparences sans arrière-monde, cet anti-platonisme et anti-christianisme conduit à une troisième confusion, celle du mensonge et de l’erreur, entre la sincérité et la véracité : ne pas mentir, c’est dire la vérité, être vérace. En réalité, on peut être sincère et se tromper, dire le faux. Mais le film rejette cette distinction puisqu'aucune personne ne doute jamais de ce que l’autre dit. Toute parole prononcée est crue. C’est ce que montre clairement la scène de « l’invention » du mensonge : Mark affirme qu’il a 800 dollars sur son compte alors que l’ordinateur de la banque, tombé momentanément en panne, indique qu’il n’en possède que 300. L’employée de la banque ne doute pas une seconde de la parole de Mark et change son compte : il ne peut pas mentir, c’est-à-dire ne pas se tromper. De même pendant l’arrestation de son ami alcoolique, Mark dit au policier qui veut l’embarquer qu’il n’est en fait pas saoul mais malade, ce que le policier croit instantanément alors qu’il venait de procéder à un test d’alcoolémie positif. 

Pour rendre l’erreur aussi impossible que le mensonge, il est nécessaire qu’aucune information, aucune parole, ne se contredisent, car alors on doit admettre en bonne logique (non dialectique) qu’elles sont soit toutes les deux fausses, soit qu’une des deux l’est, bref qu’un de ceux ayant prononcé ces paroles se soit trompé. Pour éviter cela, le film enlève toute mémoire aux individus : ce qui est vrai ne l’est que tant qu’il est dit. La scène la plus parlante à cet égard est la scène du bar où Mark essaye d’expliquer à ces amis ce qu’est le mensonge (« dire ce qui n’est pas »), il enchaîne ainsi les affirmations absurdes et contradictoires (se donnant ainsi plusieurs noms). Ses auditeurs acceptent toutes ces affirmations bien qu’elles soient en contradiction flagrante avec leurs croyances passées. Finalement, on peut se demander si ce ne sont pas toutes ces confusions qui permettent de déduire du principe de la véracité le monde matérialiste et cruel qu’on a décrit plus haut. C’est parce que les hommes de ce monde ne sont pas des hommes mais des marionnettes sans âmes qu’ils sont matérialistes, égoïstes, cruels et surtout incapables d’amour véritable. Quelle est l’origine de ces confusions qui empêchent le film de déployer un monde cohérent à partir de son principe ? Il semble qu’il s’agisse de son préjugé lui-même matérialiste que l’on a déjà mentionné par deux fois (l’invention du mensonge relève d’une mutation matérielle du cerveau du héros, le réductionnisme génétique et la confusion entre phénotype et génotype). Le monde matérialiste du film ne peut être déduit qu’à partir de présupposés eux-mêmes matérialistes. Le paradoxe est que le film témoigne d’une nostalgie pour une forme d’amour que ses présupposés rendent impossible à concevoir. 
  

 
affiche invention du mensonge



Un tel monde est donc peu cohérent et peu crédible. La comédie réussit mal son pari de devenir plus subtile en développant un monde systématique à la manière de la science-fiction. D’ailleurs de nombreuses inconséquences ou incohérences flagrantes peuvent être repérées. Plusieurs exemples d’incohérences en vrac : la secrétaire du héros pense qu’elle est sous-estimée et qu’elle vaut mieux que le secrétariat et contrairement à Mark qui serait surestimé et ne mériterait pas la place qu’il occupe (scénariste de films). Les apparences sociales sont donc trompeuses, or comment comprendre de telles erreurs de management dans un monde où la réalité se confond avec les apparences ? Lorsque que dans le bar, le héros affirme que son nom est différent, son ami lui dit : « I didn’t know that was your real name ». Comment parler de vrai nom si le concept de faux nom ou nom d’emprunt n’existe pas ? Autre exemple : la seconde publicité pour Pepsi affirme que Pepsi est disponible « in the afterlife » ; ce qui ne peut qu’être un mensonge publicitaire puisque seul le héros communique avec « The man in the sky», et surtout puisque la première publicité pour Pepsi affirmait justement qu’on ne buvait du Pepsi que lorsqu’il n’y avait plus de Coke, or Mark-Moïse avait bien précisé qu’on pourrait avoir dans sa villa tout ce qu’on désire (qui peut désirer du Pepsi s’il est possible de désirer du Coke ?). Si la publicité est essentiellement liée au mensonge, un monde de la véracité cohérent ne devrait pas avoir de publicité. Enfin, l’idée de subjectivité est introduite pour affirmer qu’une personne peut avoir l’air belle pour une personne sans l’être pour une autre ; cette idée n’est pas cohérente dans ce monde tel qu’il nous est décrit, à moins d’introduire une distinction entre apparence et réalité, distinction ici impossible.

 

Finalement, ce film donne bien à penser, mais plus sur ses limites et ses failles que sur le monde et les convictions qu’il propose.

 

 
cqfd.jpeg

CQFD ! - source

 

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commentaires

B
<br /> Bien cher G.,<br /> <br /> Tout d’abord merci pour cet article passionnant (et la critique destructrice vient au paragraphe suivant). Comme j’enseigne la philosophie, vous m’avez donné l’idée de reproblématiser mon cours sur<br /> le langage en me demandant si la possibilité du mensonge était le propre du langage. Une problématique morale donc sur le langage, et les Sophistes au centre ; ils prennent désormais le pas sur<br /> Hegel et son sourire hautain à propos de Mesmer qui a voulu penser sans les mots.<br /> Et maintenant le désaccord: les personnages de The Invention of lying (que vous m’avez ôté l'envie de voir) semblent privés de toute théorie de l’esprit (au sens de P.Engel) plutôt que respectueux<br /> de l’impératif catégorique kantien. Ils sont incapables de mentir parce que privés de tout imaginaire et de toute intériorité ; cela contredit la conception morale de Kant, et vous le savez<br /> pertinemment. Pourquoi vous présenter comme un de ses lecteurs ? Pour Kant, si les hommes doivent dire la vérité c’est parce qu'ils peuvent mentir. L’homme ne peut pas être moralement vertueux s’il<br /> n’a pas en lui la possibilité du mal radical. C’est uniquement à cette condition que la morale a un sens : justement parce qu'elle exprime le pur devoir être là où l’être est muet sur les valeurs.<br /> En bref, Kant distingue le droit et le fait et un étudiant de Deug sait que cette distinction est fondamentale chez lui. Je réclame au nom de vos lecteurs : pourquoi les flouer ainsi d’une lecture<br /> honnête de la morale kantienne ? je vous croyais tout le contraire d’un homme de parti pris.<br /> Amicalement,<br /> Bl<br /> <br /> <br />
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G
<br /> <br /> Chère Bl, <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Laissez-moi vous dire qu'en lisant votre critique, j'ai d'abord cru un instant avoir enfin rencontrer mon alter ego philosophique, un adversaire à ma mesure : je me voyais en quelques lignes<br /> terrassé et renvoyé à mes études avec un bon coup de pied dans le fondement. Puis après réflexion, je me suis dit que finalement vous aviez certainement fait une faute de frappe en oubliant le H<br /> entre le B et L de votre signature, et que effectivement, vous aviez bien remis la sophistique au coeur de votre réflexion... <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Je n'ai jamais dit que le monde imaginé par ce film était le monde de la vertu, où les hommes seraient tous bons en obéissant tous scrupuleusement et en toutes circonstances à l'impératif<br /> catégorique de ne pas mentir. Ce que j'ai dit, c'est que le film dépeint un monde où les hommes ne savent pas ce qu'est que le mensonge, où ils disent la vérité non par obligation, et donc par<br /> devoir, mais par nécessité naturelle. Que la vertu présuppose la possibilité du vice, et le devoir la possibilité d'y désobéir, cela va sans dire. En comparant ce monde avec « le règne des fins »<br /> de Kant, je ne faisais donc pas une comparaison entre ce monde imaginaire et un monde d'hommes toujours vertueux, mais plutôt avec un monde de saints (étant entendu que la sainteté est au-delà de<br /> la vertu pour Kant). À la différence des vertueux, les saints ne disent pas de mensonge par obligation, mais par inclination naturelle. Dans le monde de Gervais, la<br /> <br /> <br /> morale n'existe pas, elle n'a même pas besoin d'exister, du moins en ce qui concerne la vérité, puisque les hommes ne se trompent jamais les uns les autres. Me reprocher de ne pas voir que ces<br /> hommes ne peuvent pas connaître le Bien (et le devoir moral) parce qu'ils ne connaissent pas le Mal (radical ou non) est donc inutile. Dire que ce film apparaît comme « le cauchemar de Kant » ne<br /> consiste donc pas à dire que la morale réalisée serait au fond immoral, mais consiste à dire qu'un devoir moral particulier transformé en une loi de la nature, en une inclination naturelle, a des<br /> conséquences immorales et malheureuses ; que l’odeur de sainteté peut avoir des relents nauséabonds… <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> De plus, le film n’ignore nullement le mal radical de l’homme puisqu’il associe à la véracité systématique un égoïsme matérialiste. Rien ne dit que ce monde ne connaît pas d’autres impératifs<br /> moraux interdisant le vol, le meurtre, l’esclavage, etc. D’ailleurs, la morale religieuse que le héros révèle au monde ne semble pas totalement nouvelle dans le film, c’est sa dimension<br /> religieuse qui l’est (puisque celle-ci est associée au mensonge). « Le cauchemar de Kant » consiste à montrer ainsi que la sainteté dans un domaine (la vérité) peut être associée au mal radical<br /> dans un autre : la bonté n’est pas systématique. On peut être un être pur par un côté et un vrai salop par un autre !<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Quant à l’opposition entre fait et valeur chez Kant, bon disciple de Hume et de Rousseau, je suis presque totalement d’accord avec vous. Elle est effectivement liée à la position d’un mal radical<br /> de fait chez l’homme, présupposé paradoxal d’une morale du devoir. Seulement, si cette distinction me paraît bien respectée dans la première formule de l’impératif catégorique (le mal radical<br /> n’étant finalement ici que l’inversion du critère d’universalisation des maximes de nos actions), je me demande si cette opposition l’est aussi bien dans la deuxième formule de l’impératif<br /> catégorique où la dignité de l’homme comme personne est affirmée. N’est-ce pas parce que l’homme est reconnu comme un être raisonnable que l’on doit le respecter en ne le traitant jamais<br /> seulement comme un moyen, mais aussi toujours comme une fin en soi ? Et cette reconnaissance ne présuppose-t-elle pas d’affirmer la finalité d’une<br /> <br /> <br /> nature humaine ? Et cette nature humaine n’est-elle pas au fond conçue à partir d’une anthropologie chrétienne ou du moins à partir d'une conception métaphysique de l'homme ? Le « mal radical »<br /> apparaît ici comme une version moderne (protestante) du péché originel. N’est-ce pas alors fonder, dans une certaine mesure, la valeur sur le fait ? Certes ce fait n’est pas objectif, mais<br /> seulement l’objet d’une interprétation rationnelle (c’est la partie nouménale de notre « nature »). Il n’en demeure pas moins que cette nature humaine est une « nature » à réaliser et le penchant<br /> au mal comme un donné métaphysique ou religieux contredisant cette finalité rationnelle. On peut appeler cette nature un fait métaphysique ou un fait religieux, il n’en demeure pas moins que<br /> c’est sur cette anthropologie philosophique que la valeur est fondée. Si Kant a ajouté à la première formule de l’impératif (la seule à vraiment<br /> <br /> <br /> respecter la distinction entre fait et valeur selon moi) la deuxième formule, c’est bien parce que la première est insuffisante à fonder la morale. Seule la deuxième peut donner un contenu à une<br /> morale déontologique qui serait sans cela trop formelle et justifierait finalement n’importe quoi comme Hegel l’a montré. Le problème est que la deuxième formule se déduit mal de la première et<br /> ressemble trop à un ajout extérieur (dont la provenance chrétienne n’est pas douteuse à mon avis et ce quels que soient les efforts rationnels de Kant pour fonder une métaphysique de la personne<br /> et du sujet moral). »<br /> <br /> <br /> Quoi qu'il en soit de Kant, il reste difficile de chercher dans le film de Gervais, peu cohérent en lui-même, l'illustration d'une thèse philosophique, quelle qu'elle soit... Je ne suis pas<br /> totalement persuadé qu'il soit suffisamment intéressant pour faire l'objet d'un véritable "conflit des interprétations" ! Je vous encourage néanmoins à y jeter un oeil. Même si le mal ne serait<br /> pas grand, il me serait pénible de savoir que je vous ai enlevé l'envie de le découvrir. Que cela ne vous décourage pas non plus de poursuivre vos critiques (dures mais stimulantes) sur nos pages<br /> freakosophiques. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Amicalement. <br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Votre conclusion achève le film et le rend inquiétant car il y a une grande absente dans ce monde imaginaire : la philosophie. On pourrait formuler les choses ainsi : dans un monde ou le mensonge<br /> n'existe pas, chaque mode de pensée devrait être considérée comme aussi plausible qu'un autre. Celui qui affirmerait une hiérarchie des valeurs différentes de celle sur laquelle repose le monde de<br /> ce film, devrait être instantanément cru. Et plus encore, puisque la science est un mode de pensée qui va contre l'impression immédiate pour trouver les lois qui relèguent finalement la réalité<br /> apparente à de simples phénomènes, ce monde ne devrait pas posséder de technologie, puisque celle-ci est la conséquence d'un mode de pensée qui va au delà des obstacles épistémologiques que<br /> constituent (en premier lieu) notre impression immédiate (celle là même qui par l'appréciation physique définit la hiérarchie sociale de ce monde).<br /> <br /> Il n’en n’est rien. La véracité semble univoque dans ce monde et vous avez bien souligné l’absence de mémoire des hommes qui y vivent, seule manière de régler en silence la question de savoir qui a<br /> le droit de définir la vérité, et selon quels critères ? Le héro en inventant le mensonge, abuse de ce vide philosophique comme on abuserait d’un vide juridique. C’est parce que personne ne<br /> réfléchit à ce qu’est un énoncé vrai, puisqu’est vrai ce qui est simplement énoncé, que le héro peut mentir.<br /> <br /> Dans ce monde là, la définition de la vérité est physiologique, pour ainsi dire. Ce film a une conception matérialiste de la vérité au sens où il la conçoit comme une expression naturelle<br /> (physiologique dans le cas de l'homme, d’où l’apparition du mensonge par modification corporelle) : il n’y a pas de véritables pensées mais juste la description quasi réflexe et automatique par le<br /> langage de faits existant en dehors de toutes prises de conscience de l’éventuel impact de la pensée dans la représentation du monde.<br /> <br /> On oublie ainsi que la pensée créée de la réalité ; que la pensée (notamment scientifique) est impliquée dans les processus de fabrication du monde (des instruments scientifiques par exemple). Le<br /> film passe à côté de ce qui ne peut pas être négligé dans l’étude de la science : qu’il existe au cœur de la fabrication de notre monde un élément qui n'est pas matériel (qu’on peut néanmoins<br /> techniquement incarner dans d’autres support que l’homme, comme les algorithmes informatiques par exemple) et que l’expression d’une vérité forme un système complexe avec le monde dans laquelle<br /> elle est exprimée, impliquant une nouvelle emprise sur celui-ci et générant une réalité nouvelle (instruments scientifiques nouveaux).<br /> <br /> Cela rend impossible une expression dogmatique de la vérité (et véracité) puisque celle-ci s’inscrit dans une dynamique dont on ne connait pas la fin (sauf Hegel, bien entendu), phénomène qui<br /> durera aussi longtemps que l’homme ; et aussi parce qu’une vérité ne l’est pas indépendamment d’un contexte donné. Dans ce monde, il n’y a pas de dogme concernant la vérité : elle existe sans pour<br /> autant exister comme entité philosophique. Elle est un phénomène naturel, d’une nature qui elle-même n’existe pas comme entité philosophique. A priori, le positivisme logique n’est pas passé par<br /> là. On ne confond même pas son langage, sa conception du monde avec la réalité : cette distinction n’existe pas.<br /> <br /> Le mensonge dans notre monde à nous est impossible, seule la malhonnêteté épistémologique est possible. Dans ce monde où personne ne ment, nul ne semble connaitre l’importance de la pensée dans la<br /> construction du monde et son influence sur les réalités potentiellement accessibles à l’homme. Ce ne sont pas des hommes mais bien des machines, vivant dans un monde naturel et parfait, qui ne peut<br /> pas s’écrouler ni s’effondrer dans une malheureuse conclusion engendrer par la dynamique implacable de sa vérité, pas plus qu’il ne peut s’ouvrir sur des horizons nouveaux. Finalement, la plus<br /> grande imposture de ce film est peut être de faire croire que le mensonge est possible en balayant l’air de rien la question de la vérité.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> D'accord avec vos remarques ; mais attention à ne pas juger le film sur ce qu'il ne fait pas ou sur ce qu'il aurait pu faire. Il me semble<br /> qu'une critique de film doit d'abord s'interroger sur le sens du récit et des images, sur la cohérence interne du monde qu'il construit, ect... Ce sont clairement les conséquences pratiques du<br /> mensonge et de la véracité systématique qui intéressent le film, quant à leurs conséquences épistémologiques, elles sont relativement secondaires. Mais encore une fois, je suis d'accord avec vous<br /> et vous remercie pour vos remarques<br /> <br /> <br />
E
<br /> @ L'auteur du blog,<br /> <br /> Le meilleur synopsis que j'ai lu sur ce film à la mise en scène "épurée" mais à l'humour plutôt caustique.<br /> <br /> Un de ces quatres, intéréssez-vous à la série TV Caprica.<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> PS : Surtout, n'arrêtez pas ce blog.<br /> <br /> <br />
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